Alors que les internautes algériens ont commenté en direct la prestation de serment d'Abdelaziz Bouteflika, de façon la plus souvent ironique, quel bilan peut-on tirer, quelques semaines après sa réélection pour un quatrième mandat, du rôle joué par les réseaux sociaux dans la campagne électorale en Algérie?
L'émergence des réseaux sociaux a été perçue comme la véritable nouveauté dans cette élection. En effet, avec 11 millions d'internautes, dont 60% ont entre 20 et 35 ans, l'arrivée de la 3G il y a quatre mois, la donne a bel et bien changé. S'ils ne sont que 80.000 Algériens seulement sur Twitter, plus de 6 millions sont sur Facebook, où la campagne a fait rage. C'est donc la première fois qu'une élection s'est jouée en ligne, ainsi que le souligne le blogueur Abdou Semmar.
Les réseaux sociaux ont, dès lors, à l'instar du rôle joué dans les révolutions en Tunisie ou en Egypte, constitué un espace de liberté inédit et massif. Et la contestation, sur ces réseaux, s'est cristallisée autour du "4e mandat", perçu comme l'ultime provocation d'un système dont le "mépris", la "hogra", n'a plus de limites.
Un espace de liberté dans un espace médiatique verrouillé
Il existe une presse foisonnante en Algérie qui s'est montrée critique et qui n'a eu de cesse de dénoncer la candidature fantôme du président sortant. Mais ce pluralisme d'apparence paraît artificiel et les pressions sont nombreuses à l'instar d'Algérie News qui s'est vue privée de publicité publique, qui en Algérie est une ressource importante.
Du côté des télévisions, l'émergence des privées a donné naissance à un ton nouveau. La preuve, Dzaïr TV, qui s'est imposée comme la quatrième chaîne du paysage audiovisuel algérien a lancé, dès juin 2013, Controverse, une émission politique animée par Khaled Drareni. Maladie du président, émeutes dans le sud du pays, autonomie de la Kabylie, aucun sujet n'a été évité et sa liberté de ton contraste avec quelques moments cultes. Comme celui au cours duquel le directeur de campagne de Bouteflika, Abdelmalek Sellal, qui est aussi l'ex-Premier ministre, quitta avec fracas le plateau de l'émission après que Khaled Drareni lui ait demandé s'il n'en faisait pas trop lorsqu'il qualifiait le président sortant de "don de Dieu".
Cependant, cette émission a été suspendue car l'actionnaire de Dzaïr TV demeure proche du pouvoir.
Une contestation presque sans limite sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, contrairement aux médias traditionnels, ne connaissent guère de limites. La fronde sociale qui a secoué l'Algérie depuis l'annonce de la candidature de Bouteflika a pu y trouver un relais efficace. Notamment le mouvement Barakat (ça suffit) dont les manifestations ont été largement suivies sur la toile grâce aux photos et vidéos mises en ligne en temps réel. Et les arrestations musclées des manifestants, relayées grâce aux tweets instantanés avec les hashtags #barakat et #bara4, ont mis en lumière les limites du régime.
Twitter s'est imposé comme un espace de discussion. Tous les épisodes marquants de la campagne y ont été allègrement commentés. En témoigne l'apparition de nombreux hashtags autour de l'actualité des présidentielles. Exemple, sur #Boutef, de jeunes migrants clandestins, des harraga, envoient un message, depuis leur embarcation de fortune en haute mer, sous forme de vidéo: "Ya Bouteflika, garde ton quatrième mandat et bye, bye l'Algérie."
Cette contestation n'a pas été sans provoquer des réactions du côté des autorités. D'autant que les candidats à la présidentielle, eux, ne se sont quasiment pas saisis des réseaux pour faire campagne.
Le compte officiel du candidat Bouteflika ne compte que 400 abonnés. Aussi il n'est gère étonnant qu'Amara Benyounès, porte-parole de Bouteflika et ministre du Développement industriel, nie toute raison d'être de cette contestation sur les réseaux qu'il considère comme forcément truqués.
"Internet, c'est le fléau du pouvoir algérien"
La parodie a constitué une autre forme de la contestation, plus soft, mais très populaire. Fer de lance de cet humour 2.0, une génération de jeunes humoristes s'est emparée de YouTube. Ils s'appellent DZjoker, Anes Tina, Zarouta Youcef, MisterX, MGdz et leurs vidéos peuvent dépasser le million de vues. Ils parlent un peu de tout, de l'arrivée de la 3G, de la religion mais aussi des travers de la politique algérienne.
Zarouta Youcef compte plus de 600.000 vues sur YouTube grâce sa vidéo "Politique en Algérie" dans laquelle il brocarde allègrement la ministre de la Culture, Khalida Toumi et le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Les parodies se sont multipliées pour moquer la candidature d'Abdelaziz Bouteflika. A l'image de cette reprise de Papaoutai, de Stromae, par un internaute algérien, qui a déjà été vue 150.000 fois sur Youtube.
Sur YouTube toujours, le jeune humoriste Anes Tina, interpelle Abdelaziz Bouteflika, dans un rap intitulé "Message au Président", et lui demande de ne pas briguer un quatrième mandat. Anes Tina, qui compte 155.000 abonnés explique aborder "tous les sujets qui [lui] passent par la tête". Pour lui, il n'y a pas de "censure" en Algérie: "La liberté d'expression existe."
En compagnie de ses complices DZjoker et MGdz, il vient de publier un clip, "Le VOTE en Algérie", qui pourfend avec humour le processus électoral en Algérie, qui ne répond plus, selon lui, aux aspirations de la jeune génération. "Internet, c'est le fléau du pouvoir algérien", expliquait récemment rappeur Lotfi Double Kanon qui s'est illustré avec des clips engagés contre le 4e mandat.
Enfin, il existe même un Gorafi algérien, un site, dénommé Bled Mickey, qui s'amuse avec de fausses nouvelles: "Abdelaziz Bouteflika: il n'était pas malade mais addict au jeu Candy Crush", "Des ONG dénoncent un excès de libertés en Algérie", "A l'approche des élections, la police algérienne détectera désormais l'esprit critique' aux barrages".
Un impact faible
Ici comme ailleurs, il ne faut pas prêter trop d'influence aux réseaux sociaux sur les résultats d'une élection présidentielle. Surtout en Algérie, où tous les observateurs affirmaient que le résultat était joué d'avance. En revanche, l'appel à l'abstention qui semblait émerger le plus des réseaux, a sans doute rencontré un écho si l'on en juge le faible taux de participation de 51,7% seulement, en net recul par rapport à celui de 2009 qui était de de 74%. Néanmoins, les facteurs de cette abstention sont multiples et on ne peut l'imputer à la seule mobilisation sur les réseaux sociaux. Pour autant, cette campagne aura démontré que l'influence des réseaux sociaux en Algérie est bien émergente et qu'elle est susceptible de structurer à terme un espace public dans lequel la jeunesse aura enfin trouvé sa place... A suivre...
Credit//FLICKR//CC: AMAZIGH2963
L'émergence des réseaux sociaux a été perçue comme la véritable nouveauté dans cette élection. En effet, avec 11 millions d'internautes, dont 60% ont entre 20 et 35 ans, l'arrivée de la 3G il y a quatre mois, la donne a bel et bien changé. S'ils ne sont que 80.000 Algériens seulement sur Twitter, plus de 6 millions sont sur Facebook, où la campagne a fait rage. C'est donc la première fois qu'une élection s'est jouée en ligne, ainsi que le souligne le blogueur Abdou Semmar.
"Internet est devenu l'oxygène des Algériens" par Europe1fr
Les réseaux sociaux ont, dès lors, à l'instar du rôle joué dans les révolutions en Tunisie ou en Egypte, constitué un espace de liberté inédit et massif. Et la contestation, sur ces réseaux, s'est cristallisée autour du "4e mandat", perçu comme l'ultime provocation d'un système dont le "mépris", la "hogra", n'a plus de limites.
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Il existe une presse foisonnante en Algérie qui s'est montrée critique et qui n'a eu de cesse de dénoncer la candidature fantôme du président sortant. Mais ce pluralisme d'apparence paraît artificiel et les pressions sont nombreuses à l'instar d'Algérie News qui s'est vue privée de publicité publique, qui en Algérie est une ressource importante.
Du côté des télévisions, l'émergence des privées a donné naissance à un ton nouveau. La preuve, Dzaïr TV, qui s'est imposée comme la quatrième chaîne du paysage audiovisuel algérien a lancé, dès juin 2013, Controverse, une émission politique animée par Khaled Drareni. Maladie du président, émeutes dans le sud du pays, autonomie de la Kabylie, aucun sujet n'a été évité et sa liberté de ton contraste avec quelques moments cultes. Comme celui au cours duquel le directeur de campagne de Bouteflika, Abdelmalek Sellal, qui est aussi l'ex-Premier ministre, quitta avec fracas le plateau de l'émission après que Khaled Drareni lui ait demandé s'il n'en faisait pas trop lorsqu'il qualifiait le président sortant de "don de Dieu".
Cependant, cette émission a été suspendue car l'actionnaire de Dzaïr TV demeure proche du pouvoir.
Une contestation presque sans limite sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, contrairement aux médias traditionnels, ne connaissent guère de limites. La fronde sociale qui a secoué l'Algérie depuis l'annonce de la candidature de Bouteflika a pu y trouver un relais efficace. Notamment le mouvement Barakat (ça suffit) dont les manifestations ont été largement suivies sur la toile grâce aux photos et vidéos mises en ligne en temps réel. Et les arrestations musclées des manifestants, relayées grâce aux tweets instantanés avec les hashtags #barakat et #bara4, ont mis en lumière les limites du régime.
Twitter s'est imposé comme un espace de discussion. Tous les épisodes marquants de la campagne y ont été allègrement commentés. En témoigne l'apparition de nombreux hashtags autour de l'actualité des présidentielles. Exemple, sur #Boutef, de jeunes migrants clandestins, des harraga, envoient un message, depuis leur embarcation de fortune en haute mer, sous forme de vidéo: "Ya Bouteflika, garde ton quatrième mandat et bye, bye l'Algérie."
Cette contestation n'a pas été sans provoquer des réactions du côté des autorités. D'autant que les candidats à la présidentielle, eux, ne se sont quasiment pas saisis des réseaux pour faire campagne.
Le compte officiel du candidat Bouteflika ne compte que 400 abonnés. Aussi il n'est gère étonnant qu'Amara Benyounès, porte-parole de Bouteflika et ministre du Développement industriel, nie toute raison d'être de cette contestation sur les réseaux qu'il considère comme forcément truqués.
"Internet, c'est le fléau du pouvoir algérien"
La parodie a constitué une autre forme de la contestation, plus soft, mais très populaire. Fer de lance de cet humour 2.0, une génération de jeunes humoristes s'est emparée de YouTube. Ils s'appellent DZjoker, Anes Tina, Zarouta Youcef, MisterX, MGdz et leurs vidéos peuvent dépasser le million de vues. Ils parlent un peu de tout, de l'arrivée de la 3G, de la religion mais aussi des travers de la politique algérienne.
Zarouta Youcef compte plus de 600.000 vues sur YouTube grâce sa vidéo "Politique en Algérie" dans laquelle il brocarde allègrement la ministre de la Culture, Khalida Toumi et le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Les parodies se sont multipliées pour moquer la candidature d'Abdelaziz Bouteflika. A l'image de cette reprise de Papaoutai, de Stromae, par un internaute algérien, qui a déjà été vue 150.000 fois sur Youtube.
Sur YouTube toujours, le jeune humoriste Anes Tina, interpelle Abdelaziz Bouteflika, dans un rap intitulé "Message au Président", et lui demande de ne pas briguer un quatrième mandat. Anes Tina, qui compte 155.000 abonnés explique aborder "tous les sujets qui [lui] passent par la tête". Pour lui, il n'y a pas de "censure" en Algérie: "La liberté d'expression existe."
En compagnie de ses complices DZjoker et MGdz, il vient de publier un clip, "Le VOTE en Algérie", qui pourfend avec humour le processus électoral en Algérie, qui ne répond plus, selon lui, aux aspirations de la jeune génération. "Internet, c'est le fléau du pouvoir algérien", expliquait récemment rappeur Lotfi Double Kanon qui s'est illustré avec des clips engagés contre le 4e mandat.
Enfin, il existe même un Gorafi algérien, un site, dénommé Bled Mickey, qui s'amuse avec de fausses nouvelles: "Abdelaziz Bouteflika: il n'était pas malade mais addict au jeu Candy Crush", "Des ONG dénoncent un excès de libertés en Algérie", "A l'approche des élections, la police algérienne détectera désormais l'esprit critique' aux barrages".
Un impact faible
Ici comme ailleurs, il ne faut pas prêter trop d'influence aux réseaux sociaux sur les résultats d'une élection présidentielle. Surtout en Algérie, où tous les observateurs affirmaient que le résultat était joué d'avance. En revanche, l'appel à l'abstention qui semblait émerger le plus des réseaux, a sans doute rencontré un écho si l'on en juge le faible taux de participation de 51,7% seulement, en net recul par rapport à celui de 2009 qui était de de 74%. Néanmoins, les facteurs de cette abstention sont multiples et on ne peut l'imputer à la seule mobilisation sur les réseaux sociaux. Pour autant, cette campagne aura démontré que l'influence des réseaux sociaux en Algérie est bien émergente et qu'elle est susceptible de structurer à terme un espace public dans lequel la jeunesse aura enfin trouvé sa place... A suivre...
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