"Militairement le terrorisme n'est rien; comme moyen de propagande, il est suprêmement efficace."
Elie Barnavi Dix thèses sur la guerre
La cause est entendue: l'Etat islamique ou ISIS, Daech utilise l'horreur et la barbarie 2.0 pour terroriser l'Occident ou plutôt surtout les Etats-Unis et secondairement la Grande-Bretagne et la France. Il y a en France une union sacrée compréhensible pour, tout d'abord, condamner les atrocités de ce groupe d'égorgeurs et lutter contre eux. Cette union sacrée ne s'étend pas tout à fait à la meilleure façon de lutter contre ce groupe terroriste.
En effet, il semble bien que les Etats-Unis et la France soient tombés dans le panneau des terroristes qui se renforcent grâce à leur propagande "suprêmement efficace" comme l'écrit Barnavi. Ben Laden avait déjà explicitement décrit comment il comptait entrainer les Etats-Unis dans une guerre sans fin contre les musulmans, espérant ainsi réaliser la prophétie de Huntington et de son "choc des civilisations".
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Il n'y a pas eu de guerre contre les musulmans ou l'islam mais la guerre puis l'invasion de l'Afghanistan ont plongé les Etats-Unis dans une crise financière et politique et les ont coincés dans un bourbier militaire dont ils ne sortiront pas vainqueurs, comme les Britanniques puis les Soviétiques avant eux.
Bush voulait, bien sûr, venger les Américains après les attaques du 11 septembre, un crime contre l'humanité de grande ampleur mais il est clair, 13 ans plus tard que la réponse militaire de l'époque, quasi unanimement approuvée par les Américains, a débouché sur un enlisement meurtrier qui n'a fait que renforcer le terrorisme qu'il s'agissait de détruire.
L'histoire de l'implication américaine en Afghanistan devrait servir de mise en garde dans le conflit actuel car les Etats-Unis, suivis par une coalition hétéroclite et pleine de conflits à venir, commettent la même erreur. Le terrorisme est sorti renforcé des 13 ans de guerre en Afghanistan comme il se renforce à chaque fois que des drones tuent des innocents, il se renforce grâce aux bombardements supposés le détruire et se déplace d'un pays à l'autre avec une facilité étonnante.
Le spécialiste des relations internationales Zbigniew Brzezinski a le premier conceptualisé l'aide aux combattants djihadistes pour abattre la puissance soviétique engluée en Afghanistan.
L'aide américaine aux moudjahidines a conduit aux attentats terroristes du 11 septembre. Cela s'appelle le blowback (choc en retour). Frankenstein fut sauvagement attaqué par le monstre qu'il avait créé. La suite des interactions militaires dans la lutte contre le terrorisme, bombardements massifs ou drones contre attaques terroristes a montré que la guerre sans fin contre l'hydre terroriste ne conduisait pas à une victoire décisive des Etats-Unis ou de leurs alliés.
L'intervention en Libye a non seulement créé le chaos total dans ce pays mais relancé le terrorisme qui s'est déplacé au Mali où il y a eu une intervention pour lutter contre d'autres groupes. En Irak, un général de l'armée bassiste est à la tête du groupe EI.
Saddam Hussein, le dictateur sanguinaire était tout à fait opposé aux djihadistes et al Qaeda n'existait pas dans ce pays. Il y eut même un moment de coopération entre les troupes américaines et des groupes sunnites pour lutter contre al Ansar un groupe islamiste. Le changement radical de position des acteurs sur place s'explique par l'activisme dictatorial et communautariste du gouvernement Maliki mis en place par les Etats-Unis et longtemps soutenu par eux avant le lâchage récent.
L'Occident depuis 1979 joue donc à Frankenstein contre le terrorisme qui ne cesse de se répandre de l'Afghanistan à l'Irak, la Libye et le Mali et par ricochet l'Algérie où Hervé Gourdel fut la victime d'une hydre terroriste avec laquelle il n'avait rien à voir.
Il est fort compréhensible que la barbarie provoque des envies de vengeance et donc un souhait d'intervention militaire contre les criminels barbares. La vengeance est pourtant mauvaise conseillère. Les quelques frappes françaises sur le terrain n'ont aucun impact positif mais servent la propagande terroriste, elles mettent en danger les Français dans les pays où se déroule cette bataille anti-terroriste mais aussi en France où existe le risque d'attentats.
L'intervention américaine en 2003, fondée sur de gros mensonges et que la France avait condamnée est un des facteurs de la montée en puissance de l'EI, il faut donc éviter de répéter les mêmes erreurs. L'argument selon lequel c'est soit des frappes aériennes soit rien et donc une capitulation face aux barbares ne tient pas. Le bilan des luttes anti-terroristes passées est sans appel : le cancer de la barbarie a produit des métastases dans une grande partie du monde.
Avec nos frappes aériennes nous rentrons dans le jeu des terroristes, nous servons leur propagande. Lorsque les médias américains montrent les vidéos des décapitations dans leur totalité monstrueuse, ils font le jeu des terroristes. Les moyens de contrer le terrorisme existent, ils sont apparemment plus lents que les bombardements mais moins dangereux. Apparemment plus lents mais la rapidité des bombardements n'a jusqu'à maintenant fait qu'accélérer la diffusion métastasique du cancer terroriste.
Pour l'EI, il est possible de bloquer toutes leurs ventes de pétrole en mettant la pression sur les intermédiaires turcs et les acheteurs chinois. Il faut aussi s'assurer que l'Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït, qui jusqu'à très récemment finançaient et armaient les groupes terroristes, ne le font plus. Après tout, ils sont nos « alliés et amis », même s'ils pratiquent eux aussi la décapitation légale.
L'Arabie saoudite et le Qatar sont eux aussi des Frankenstein qui produisent des monstres terroristes et il n'est pas sûr que des acteurs non-étatiques dans ces pays ne continuent pas ce même jeu.
Condamner la barbarie est une nécessité mais il faut aussi ne pas la nourrir, ne pas jouer avec elle pour lutter contre un autre ennemi, ne pas faire ami-ami avec ceux qui l'encouragent, la financent et lui donnent des armes. Surtout il est essentiel de quitter la sphère de la vengeance pour penser stratégiquement sans se laisser influencer par le lobby militaro-industriel américain ou français car notre objectif ne doit pas être la diffusion cancérigène du terrorisme.
Les égorgeurs savent faire du judo médiatique avec leur stratégie de la terreur et utiliser la force militaire des Etats-Unis et de leurs alliés à leur avantage. Il ne faut pas rentrer dans leur jeu, ne pas écouter les bêtises guerrières d'un Pascal Bruckner ou croire à la magie des bombes lancées du ciel.
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