Il existe une tradition anglo-saxonne d'évaluation des politiques publiques ("evidence based policy") et ce tout particulièrement en matière de sécurité. Elle s'appuie sur le grand nombre de départements, et donc d'enseignants et d'étudiants, de criminologie travaillant dans les universités américaines, canadiennes ou anglaises et sur des systèmes d'information statistique très riches.
En France, et c'est un euphémisme, l'évaluation des politiques publiques de sécurité fait défaut. Depuis des années, les projets de loi font et défont des dispositifs dont personne ne peut dire s'ils ont été efficaces et ont atteint leurs objectifs. Dans un tel contexte, chacun a raison et tout le monde a tort.
En France, pour défendre la prééminence de la sociologie, la criminologie est combattue, et, en premier lieu, l'idée d'un comportement rationnel en matière de vols, de fraudes ou de trafics ("rational choice theory"). Or, dans une telle perspective, le risque d'une incarcération et la durée de celle-ci sont pourtant des variables d'une estimation du rapport coût-bénéfice réalisée par les criminels.
En France, les statistiques administratives de la police, de la gendarmerie et de la justice ont mis plusieurs décennies à évoluer et, aujourd'hui, les effets positifs de ces évolutions se font encore attendre alors que, dans le même temps, on souffre de leur contrecoup en matière de continuité des séries statistiques.
Finalement, le seul dispositif existant permettant de disposer de données exploitables pour établir les tendances de la délinquance est l'enquête annuelle de victimation "Cadre de vie et sécurité" INSEE-ONDRP. Un état des lieux peut ainsi être effectué chaque année pour les atteintes visant les personnes physiques ou leurs biens.
L'état des lieux publié en fin d'année dernière a permis, entre autres, à partir des données de victimation et de statistiques sur l'évolution du profil des personnes mises en cause, de confirmer, de façon quasi certaine, l'existence de réseaux transnationaux commentant des vols sans violence à grande échelle en France. Ce phénomène qui touche aussi la Belgique ou l'Allemagne nécessite de mener des politiques publiques à l'échelle européenne. Son caractère massif et transnational l'a rendu visible avec nos outils actuels. Mais combien d'autres phénomènes plus locaux demeurent invisibles, faute d'instruments de mesure permettant de les observer ?
Le projet de loi sur la réforme pénale en cours de discussion aurait dû être l'occasion de s'interroger sur les outils dont nous disposons pour évaluer nos politiques publiques mais également pour les adapter à travers la réalisation d'études d'impact.
L'efficacité de la réponse pénale se juge en analysant des parcours individuels sur des longues périodes et des cohortes de personnes qui devraient être suivies à partir de leur première mise en cause dans le cadre d'études statistiques anonymisées.
Or, il est encore impossible en France, en 2014, de savoir quelle est l'orientation décidée par les parquets pour chaque procédure transmise par la police ou la gendarmerie comprenant le nom d'une ou plusieurs personnes mises en cause. Et encore, il ne s'agit là que de la première étape du processus qui, pour certains mis en cause, se terminera par la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement ferme.
Le numéro unique de suivi des procédures, sur lequel avaient pourtant travaillé il y a plus de 10 ans les services du ministère de l'Intérieur et ceux de la Justice, n'est pas qu'un doux rêve de statisticien. C'est un besoin ressenti par des praticiens du monde entier et qui est notamment mis en œuvre en Amérique Latine, dans des pays comme le Chili ou la Colombie. En France il semble qu'il soit pourtant tombé aux oubliettes.
On peut porter aux débats une publication du Conseil de l'Europe appelée SPACE pour Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l'Europe. Dans son édition 2012, on apprend en effet que 27 % des condamnés sous écrous, détenues ou non (sous surveillance électronique par exemple), l'ont été pour des coups et blessures volontaires ("Assault and battery"). En moyenne pour les pays du conseil de l'Europe, cette part est voisine de 8 %. Elle se situe à 13 % en Allemagne et à 17,4 % en Angleterre et Pays de Galles.
Si ce résultat n'est pas dû à un artéfact statistique, il pourrait être le point de départ d'une réflexion sur l'impact des violences physiques dans l'augmentation de la population carcérale en France : de 12 491 au 1er janvier 2010, le nombre de personnes condamnées pour violences volontaires sous écrou, détenue ou non, est passé à plus de 17 000 au 1er janvier 2014, soit + 36,3 %.
Il est envisageable qu'une demande sociale qui se serait d'abord exprimée à travers une aggravation de la qualification pénale des violences physiques se cumulant avec une augmentation de la propension des victimes à déposer plainte se soit traduite, in fine, par une forte variation à la hausse du nombre et de la durée des peines de prisons fermes prononcées pour ces infractions.
L'évolution de la population carcérale est-elle la conséquence des variations des nombres d'actes commis, de la part de ceux qui sont portés à la connaissance des forces de l'ordre, de la fréquence de leur élucidation, du taux de poursuites ou de l'aggravation des violences et donc d'une plus grande sévérité des condamnations ? Personne n'est malheureusement en capacité de mesurer l'impact de tous ses facteurs.
Les débats opposent donc des convictions qui, le plus souvent, ne reposent pas sur des données disponibles. Faute d'un diagnostic sur ces points, et plus généralement sur le parcours des personnes suivant leur première mise en cause, chacun peut légitimement supposer que son point de vue est tout autant légitime que celui de la concurrence.
Chaque citoyen devrait pourtant pouvoir juger de l'efficacité de l'action de la police et de la justice dans sa sécurité quotidienne. Un tel objectif serait, certes, difficile à atteindre. Il n'en demeure pas moins une exigence démocratique. Les débats sur l'efficacité de la politique pénale, et plus largement des politiques publiques de sécurité, devraient en partie être alimentées par des données d'observation analysées par des structures indépendantes et non des services des ministères. On pourra alors peut-être éviter les confrontations stériles mettant en scène des opinions non vérifiables.
En France, et c'est un euphémisme, l'évaluation des politiques publiques de sécurité fait défaut. Depuis des années, les projets de loi font et défont des dispositifs dont personne ne peut dire s'ils ont été efficaces et ont atteint leurs objectifs. Dans un tel contexte, chacun a raison et tout le monde a tort.
En France, pour défendre la prééminence de la sociologie, la criminologie est combattue, et, en premier lieu, l'idée d'un comportement rationnel en matière de vols, de fraudes ou de trafics ("rational choice theory"). Or, dans une telle perspective, le risque d'une incarcération et la durée de celle-ci sont pourtant des variables d'une estimation du rapport coût-bénéfice réalisée par les criminels.
En France, les statistiques administratives de la police, de la gendarmerie et de la justice ont mis plusieurs décennies à évoluer et, aujourd'hui, les effets positifs de ces évolutions se font encore attendre alors que, dans le même temps, on souffre de leur contrecoup en matière de continuité des séries statistiques.
Lire aussi:
- Justice pour tous, par Alain Bauer
- Quelques lignes force sur les enquêtes de police et les droits de la défense, par Daniel Soulez-Larivière
- Le laxisme, vieille accusation de la droite
Finalement, le seul dispositif existant permettant de disposer de données exploitables pour établir les tendances de la délinquance est l'enquête annuelle de victimation "Cadre de vie et sécurité" INSEE-ONDRP. Un état des lieux peut ainsi être effectué chaque année pour les atteintes visant les personnes physiques ou leurs biens.
L'état des lieux publié en fin d'année dernière a permis, entre autres, à partir des données de victimation et de statistiques sur l'évolution du profil des personnes mises en cause, de confirmer, de façon quasi certaine, l'existence de réseaux transnationaux commentant des vols sans violence à grande échelle en France. Ce phénomène qui touche aussi la Belgique ou l'Allemagne nécessite de mener des politiques publiques à l'échelle européenne. Son caractère massif et transnational l'a rendu visible avec nos outils actuels. Mais combien d'autres phénomènes plus locaux demeurent invisibles, faute d'instruments de mesure permettant de les observer ?
Le projet de loi sur la réforme pénale en cours de discussion aurait dû être l'occasion de s'interroger sur les outils dont nous disposons pour évaluer nos politiques publiques mais également pour les adapter à travers la réalisation d'études d'impact.
L'efficacité de la réponse pénale se juge en analysant des parcours individuels sur des longues périodes et des cohortes de personnes qui devraient être suivies à partir de leur première mise en cause dans le cadre d'études statistiques anonymisées.
Or, il est encore impossible en France, en 2014, de savoir quelle est l'orientation décidée par les parquets pour chaque procédure transmise par la police ou la gendarmerie comprenant le nom d'une ou plusieurs personnes mises en cause. Et encore, il ne s'agit là que de la première étape du processus qui, pour certains mis en cause, se terminera par la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement ferme.
Le numéro unique de suivi des procédures, sur lequel avaient pourtant travaillé il y a plus de 10 ans les services du ministère de l'Intérieur et ceux de la Justice, n'est pas qu'un doux rêve de statisticien. C'est un besoin ressenti par des praticiens du monde entier et qui est notamment mis en œuvre en Amérique Latine, dans des pays comme le Chili ou la Colombie. En France il semble qu'il soit pourtant tombé aux oubliettes.
On peut porter aux débats une publication du Conseil de l'Europe appelée SPACE pour Statistiques Pénales Annuelles du Conseil de l'Europe. Dans son édition 2012, on apprend en effet que 27 % des condamnés sous écrous, détenues ou non (sous surveillance électronique par exemple), l'ont été pour des coups et blessures volontaires ("Assault and battery"). En moyenne pour les pays du conseil de l'Europe, cette part est voisine de 8 %. Elle se situe à 13 % en Allemagne et à 17,4 % en Angleterre et Pays de Galles.
Si ce résultat n'est pas dû à un artéfact statistique, il pourrait être le point de départ d'une réflexion sur l'impact des violences physiques dans l'augmentation de la population carcérale en France : de 12 491 au 1er janvier 2010, le nombre de personnes condamnées pour violences volontaires sous écrou, détenue ou non, est passé à plus de 17 000 au 1er janvier 2014, soit + 36,3 %.
Il est envisageable qu'une demande sociale qui se serait d'abord exprimée à travers une aggravation de la qualification pénale des violences physiques se cumulant avec une augmentation de la propension des victimes à déposer plainte se soit traduite, in fine, par une forte variation à la hausse du nombre et de la durée des peines de prisons fermes prononcées pour ces infractions.
L'évolution de la population carcérale est-elle la conséquence des variations des nombres d'actes commis, de la part de ceux qui sont portés à la connaissance des forces de l'ordre, de la fréquence de leur élucidation, du taux de poursuites ou de l'aggravation des violences et donc d'une plus grande sévérité des condamnations ? Personne n'est malheureusement en capacité de mesurer l'impact de tous ses facteurs.
Les débats opposent donc des convictions qui, le plus souvent, ne reposent pas sur des données disponibles. Faute d'un diagnostic sur ces points, et plus généralement sur le parcours des personnes suivant leur première mise en cause, chacun peut légitimement supposer que son point de vue est tout autant légitime que celui de la concurrence.
Chaque citoyen devrait pourtant pouvoir juger de l'efficacité de l'action de la police et de la justice dans sa sécurité quotidienne. Un tel objectif serait, certes, difficile à atteindre. Il n'en demeure pas moins une exigence démocratique. Les débats sur l'efficacité de la politique pénale, et plus largement des politiques publiques de sécurité, devraient en partie être alimentées par des données d'observation analysées par des structures indépendantes et non des services des ministères. On pourra alors peut-être éviter les confrontations stériles mettant en scène des opinions non vérifiables.
Christophe SOULLEZ, Chef de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et Cyril RIZK, responsable des statistiques à l'ONDRP
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