Au moment où le Nouvel Observateur s'apprête à fêter ses cinquante années d'existence, sa vente récente pose la question de la pérennité de la presse newsmagazine.
"Je ne l'ai pas vendu, je l'ai donné" a déclaré Claude Perdriel la semaine passée devant l'association des journalistes médias. "Je n'ai touché que 4,1 millions d'euros. Pour un journal qui a plus de 90 millions d'euros de chiffres d'affaires, sa valeur réelle est très supérieure. Cela me donne un poids moral plus important que si j'avais touché 25 ou 30 millions" a ajouté le facétieux fondateur du Nouvel Obs qui a, en effet, conservé 33,5% du capital.
Claude Perdriel invité exceptionnel de Médias... par france5
Une déclaration surprenante
Le trio BNP (Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse), également principal actionnaire du Monde, a en effet acquis 65 % du capital contre un chèque de 13 millions d'euros. Enfin pas tout à fait. Puisque si la moitié a été reversée à SFA, la société de sanibroyeurs de Claude Perdriel, celui-ci a illico reversé 1,5 million dans les caisses de l'Obs pour financer le plan de départ et diverses primes. Quant à l'autre moitié de la somme -donc 6,5 millions (vous me suivez !)-, elle est apportée en augmentation de capital au Nouvel Observateur. Donc, au final, seuls un peu plus de 4 millions ont été versés en monnaie sonnante et trébuchante. Une bonne affaire! Oui! Car la valorisation, généralement évoquée, était estimée entre entre 40 à 60 millions.
Une bonne affaire mais un hebdomadaire en crise
Même si Claude Perdriel dit avoir découvert l'ampleur du déficit de 2013 -9, 8 millions d'euros- en signant le protocole de vente, la dette est substantielle. L'Obs essuie, comme le Point et L'Express, la crise qui touche désormais les newsmagazines:. Chute des ventes et des recettes publicitaires, fermeture de points de ventes, difficulté à s'inscrire dans le flot de l'information numérique, désintérêt des Français pour les sujets politiques, les difficultés s'accumulent. Sans compter que l'Obs vit les difficultés, les hésitations, la perte de crédibilité de tout journal engagé lorsque son camp est au pouvoir.
Un tournant de son histoire
La démission récente de Nathalie Colin et de Laurent Joffrin, un des historiques du journal, est le premier signe concret que le Nouvel Obs s'apprête à entrer dans une nouvelle ère. Car, pour la première fois de son histoire, le magazine échappe à ses fondateurs. Depuis 50 ans, l'Obs était incarné par le duo que formaient Claude Perdriel et Jean Daniel, l'ingénieur et le journaliste, le chef d'entreprise et l'intellectuel. Un vieux couple, dépendant affectivement et intellectuellement, scellé par une passion commune pour leur journal. L'un veut faire un journal qui rayonne dans les sphères intellectuelles, l'autre veut vendre le plus d'exemplaires possibles.
Itinéraire d`un mag indépendant (1/4) par LeNouvelObservateur
Dès lors, les ambitions se confrontent. Perdriel -grâce à la prospérité de sa société SFA "l'industrie de la porcelaine" dira avec humour Michel Rocard- détient l'arme absolue de l'argent et pèse, au fil du temps, d'avantage sur la destinée du journal dont il assure l'indépendance. Jean Daniel, lui, reste sa référence, la statue du commandeur. Et aucun des dauphins successifs, Franz Olivier Giesbert, Laurent Joffrin, Bernard Guetta, Guillaume Malaurie, Denis Olivennes, ne parvient à s'imposer pour permettre une réinvention. C'est ce que raconte avec brio Jacqueline Remy dans son ouvrage, Le Nouvel observateur, 50 ans de passion, paru récemment.
Quelles leçons tirer de cette histoire ?
Celle d'un journal qui tire son succès de sa singularité politique et intellectuelle. A l'origine, l'Obs s'affirme comme le journal des intellectuels et de l'avant garde. Avec des plumes comme Michel Foucault, Maurice Clavel, Gilles Deleuze, mais aussi François Furet, Jacques et Mona Ozouf, Emmanuel Leroy Ladurie, il invente un journalisme intellectuel marqué par le style, le ton, la subjectivité. Le débat intellectuel aiguillonne les mutations sociétales. L'Obs soutient toutes les libérations, celles des femmes, avec le manifeste des 343 pour l'avortement, celle des homosexuels -le texte de Guy Hocquengem de janvier 1972 reste une référence-, celle des jeunes pionniers avec Gilles Deleuze et Michel Foucault.
Mais l'Obs est aussi le journal de la gauche ou plutôt des gauches, une matrice idéologique pour la gauche sociale-démocrate de Mendès à Mitterrand en passant par Rocard, qui accompagne la victoire de François Mitterrand en 1981.
Une singularité qui s'estompe
En effet, sous la pression du marketing, et de l'obsession de devenir le premier des newsmagazines, l'Obs se normalise. Le tournant a lieu dès le milieu des années 70, quand Claude Perdriel, séduit par la modernité, change le format, promeut des couvertures magazines sur "La fortune des Français" pour faire entrer l'hebdo politique et culturel dans le sillage des newsmagazines avec des tirages à plus de 500 000 exemplaires. Une mutation qui s'accélère dans le courant des années 80 quand Franz-Olivier Giesbert impose des unes comme "Les jeunes sont-ils cons? ", "Etes-vous cœur ou cul?"
Itinéraire d`un mag indépendant (3/4) par LeNouvelObservateur
Jean Daniel note dans ses carnets" J'interviens contre la succession des couvertures vulgaires; contre la perte d'autorité intellectuelle et morale; contre la poursuite du racolage". En vain, le tournant est pris et il s'accélère à l'orée des années 90. Les conférences de rédaction s'ouvrent sur l'exposé des chiffres et l'obsession des ventes saisit la rédaction. L'anomie guette et les divisions internes gèlent les audaces. D'autant que l'Obs se remet mal du passage de la gauche au pouvoir et de son manque de fermeté et de conviction face à certains amis au pouvoir. Le verdict est sans appel, l'Obs est devenu un journal comme les autres, il a perdu son âme. Les marronniers sur le classement des hôpitaux ou le prix de l'immobilier colonisent les unes. Et pour compenser l'érosion des ventes, Claude Perdriel joue au Père Noël pour combler les dettes.
Quel avenir ?
Claude Perdriel s'est donc refusé à vendre l'âme du Nouvel Observateur, ou du moins ce qu'il en reste, pour la donner. Mais la gestion paternaliste a vécu. Et le défi actuel consiste à faire entrer l'entreprise de presse dans la modernité tout en lui redonnant -dans un environnement radicalement différent- une identité. L'avenir se lit-il dans le passé? Jamais complètement, mais en renouant avec un journalisme cultivé qui aime la pensée et l'information, en débusquant les nouvelles avant-garde de la pensée intellectuelle, l'Obs pourrait à nouveau aiguillonner, pour les générations à venir, les enjeux sociétaux du temps présent. Et tant du côté de réinvention des gauches, que du côté du débat intellectuel, il y a tant à faire. Mais pour cela, il faut sortir de la normalité!
Vous pouvez réécouter cette chronique sur France Culture.
"Je ne l'ai pas vendu, je l'ai donné" a déclaré Claude Perdriel la semaine passée devant l'association des journalistes médias. "Je n'ai touché que 4,1 millions d'euros. Pour un journal qui a plus de 90 millions d'euros de chiffres d'affaires, sa valeur réelle est très supérieure. Cela me donne un poids moral plus important que si j'avais touché 25 ou 30 millions" a ajouté le facétieux fondateur du Nouvel Obs qui a, en effet, conservé 33,5% du capital.
Claude Perdriel invité exceptionnel de Médias... par france5
Une déclaration surprenante
Le trio BNP (Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse), également principal actionnaire du Monde, a en effet acquis 65 % du capital contre un chèque de 13 millions d'euros. Enfin pas tout à fait. Puisque si la moitié a été reversée à SFA, la société de sanibroyeurs de Claude Perdriel, celui-ci a illico reversé 1,5 million dans les caisses de l'Obs pour financer le plan de départ et diverses primes. Quant à l'autre moitié de la somme -donc 6,5 millions (vous me suivez !)-, elle est apportée en augmentation de capital au Nouvel Observateur. Donc, au final, seuls un peu plus de 4 millions ont été versés en monnaie sonnante et trébuchante. Une bonne affaire! Oui! Car la valorisation, généralement évoquée, était estimée entre entre 40 à 60 millions.
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Une bonne affaire mais un hebdomadaire en crise
Même si Claude Perdriel dit avoir découvert l'ampleur du déficit de 2013 -9, 8 millions d'euros- en signant le protocole de vente, la dette est substantielle. L'Obs essuie, comme le Point et L'Express, la crise qui touche désormais les newsmagazines:. Chute des ventes et des recettes publicitaires, fermeture de points de ventes, difficulté à s'inscrire dans le flot de l'information numérique, désintérêt des Français pour les sujets politiques, les difficultés s'accumulent. Sans compter que l'Obs vit les difficultés, les hésitations, la perte de crédibilité de tout journal engagé lorsque son camp est au pouvoir.
Un tournant de son histoire
La démission récente de Nathalie Colin et de Laurent Joffrin, un des historiques du journal, est le premier signe concret que le Nouvel Obs s'apprête à entrer dans une nouvelle ère. Car, pour la première fois de son histoire, le magazine échappe à ses fondateurs. Depuis 50 ans, l'Obs était incarné par le duo que formaient Claude Perdriel et Jean Daniel, l'ingénieur et le journaliste, le chef d'entreprise et l'intellectuel. Un vieux couple, dépendant affectivement et intellectuellement, scellé par une passion commune pour leur journal. L'un veut faire un journal qui rayonne dans les sphères intellectuelles, l'autre veut vendre le plus d'exemplaires possibles.
Itinéraire d`un mag indépendant (1/4) par LeNouvelObservateur
Dès lors, les ambitions se confrontent. Perdriel -grâce à la prospérité de sa société SFA "l'industrie de la porcelaine" dira avec humour Michel Rocard- détient l'arme absolue de l'argent et pèse, au fil du temps, d'avantage sur la destinée du journal dont il assure l'indépendance. Jean Daniel, lui, reste sa référence, la statue du commandeur. Et aucun des dauphins successifs, Franz Olivier Giesbert, Laurent Joffrin, Bernard Guetta, Guillaume Malaurie, Denis Olivennes, ne parvient à s'imposer pour permettre une réinvention. C'est ce que raconte avec brio Jacqueline Remy dans son ouvrage, Le Nouvel observateur, 50 ans de passion, paru récemment.
Quelles leçons tirer de cette histoire ?
Celle d'un journal qui tire son succès de sa singularité politique et intellectuelle. A l'origine, l'Obs s'affirme comme le journal des intellectuels et de l'avant garde. Avec des plumes comme Michel Foucault, Maurice Clavel, Gilles Deleuze, mais aussi François Furet, Jacques et Mona Ozouf, Emmanuel Leroy Ladurie, il invente un journalisme intellectuel marqué par le style, le ton, la subjectivité. Le débat intellectuel aiguillonne les mutations sociétales. L'Obs soutient toutes les libérations, celles des femmes, avec le manifeste des 343 pour l'avortement, celle des homosexuels -le texte de Guy Hocquengem de janvier 1972 reste une référence-, celle des jeunes pionniers avec Gilles Deleuze et Michel Foucault.
Mais l'Obs est aussi le journal de la gauche ou plutôt des gauches, une matrice idéologique pour la gauche sociale-démocrate de Mendès à Mitterrand en passant par Rocard, qui accompagne la victoire de François Mitterrand en 1981.
Une singularité qui s'estompe
En effet, sous la pression du marketing, et de l'obsession de devenir le premier des newsmagazines, l'Obs se normalise. Le tournant a lieu dès le milieu des années 70, quand Claude Perdriel, séduit par la modernité, change le format, promeut des couvertures magazines sur "La fortune des Français" pour faire entrer l'hebdo politique et culturel dans le sillage des newsmagazines avec des tirages à plus de 500 000 exemplaires. Une mutation qui s'accélère dans le courant des années 80 quand Franz-Olivier Giesbert impose des unes comme "Les jeunes sont-ils cons? ", "Etes-vous cœur ou cul?"
Itinéraire d`un mag indépendant (3/4) par LeNouvelObservateur
Jean Daniel note dans ses carnets" J'interviens contre la succession des couvertures vulgaires; contre la perte d'autorité intellectuelle et morale; contre la poursuite du racolage". En vain, le tournant est pris et il s'accélère à l'orée des années 90. Les conférences de rédaction s'ouvrent sur l'exposé des chiffres et l'obsession des ventes saisit la rédaction. L'anomie guette et les divisions internes gèlent les audaces. D'autant que l'Obs se remet mal du passage de la gauche au pouvoir et de son manque de fermeté et de conviction face à certains amis au pouvoir. Le verdict est sans appel, l'Obs est devenu un journal comme les autres, il a perdu son âme. Les marronniers sur le classement des hôpitaux ou le prix de l'immobilier colonisent les unes. Et pour compenser l'érosion des ventes, Claude Perdriel joue au Père Noël pour combler les dettes.
Quel avenir ?
Claude Perdriel s'est donc refusé à vendre l'âme du Nouvel Observateur, ou du moins ce qu'il en reste, pour la donner. Mais la gestion paternaliste a vécu. Et le défi actuel consiste à faire entrer l'entreprise de presse dans la modernité tout en lui redonnant -dans un environnement radicalement différent- une identité. L'avenir se lit-il dans le passé? Jamais complètement, mais en renouant avec un journalisme cultivé qui aime la pensée et l'information, en débusquant les nouvelles avant-garde de la pensée intellectuelle, l'Obs pourrait à nouveau aiguillonner, pour les générations à venir, les enjeux sociétaux du temps présent. Et tant du côté de réinvention des gauches, que du côté du débat intellectuel, il y a tant à faire. Mais pour cela, il faut sortir de la normalité!
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