REMANIEMENT - Avant-poste du combat contre la crise, Bercy voit à nouveau son organisation bouger. Terminée l'hydre à sept têtes (quatre ministres de plein exercice et trois ministres délégués) qui contribuait à attiser une cacophonie gouvernementale où Bercy est apparu en pointe ces 22 derniers mois. Le grand ministère régalien vient d'être réduit à une expression plus simple: d'un côté Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics. De l'autre Arnaud Montebourg, ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique. Pour ce qui est des ministres délégués et/ou des secrétaires d'État, on en saura plus la semaine prochaine.
À Michel Sapin la conduite du budget et des relations avec Bruxelles et les marchés. Arnaud Montebourg aura à sa charge le dialogue avec les entreprises et "l'économie réelle". Son périmètre englobera également le secteur anciennement dévolu à Fleur Pellerin, que les milieux entrepreneuriaux voulaient voir à la tête d'un grand ministère du Numérique. En vain, Arnaud Montebourg sera le seul maître à bord. Selon son entourage, cette issue est même "un soulagement".
Reste maintenant à savoir qui sera le vrai chef de Bercy. Selon l'ordre protocolaire, c'est Michel Sapin. Et le Financial Times ne s'y est pas trompé en annonçant que Pierre Moscovici avait été remplacé par l'ancien ministre du Travail.
Sur le papier, ça ne fait aucun doute. Mais Arnaud Montebourg a arraché un dernier pion capital: il bénéficiera d'une co-tutelle sur la très influente direction générale du Trésor, traditionnellement réservée au seul ministre des Finances. C'est elle qui joue le rôle d'analyse économique dans l'élaboration et la conduite de la politique de l'Etat. Avec un droit de regard, Arnaud Montebourg peut donc au moins se féliciter d'être un vrai "numéro 1 bis". Et il a aussi pour lui la puissance de l'axe qu'il a tracé avec Matignon.
Un temps adversaires, parfois même ennemis, Arnaud Montebourg et Manuel Valls ont mis de l'eau dans leur vin. Partisans d'un certain patriotisme économique, volontiers "eurocritiques" plutôt que "eurobéats", ils appartiennent aussi à une génération longtemps ignorée par les "éléphants" du PS. Il y a donc clairement une ligne tirée entre Matignon et Bercy... mais aussi avec l'Elysée, car Michel Sapin est un compagnon historique du président. Un but partout, balle au centre. "Cela nous promet de rudes négociations", prévient l'entourage du turbulent ministre.
Un "super ministre" pour les gouverner tous? C'est raté
L'éventualité d'installer un "super ministre" à Bercy avait été évoquée lors des premiers couacs du quinquennat. Jean-Marc Ayrault avait lui-même appelé à une gouvernance resserrée, rappelant aux bons souvenirs de Dominique Strauss-Kahn, puis Laurent Fabius et Claude Sautet sous Lionel Jospin (1997-2002). C'était de loin le scénario préféré des hauts fonctionnaires de Bercy, qui voulaient un patron puissant pour peser dans les arbitrages.
À la formation du gouvernement Jospin, Matignon avait exigé un seul ministre, très puissant politiquement, affublé de toute une palette de secrétaires d’Etat. Ces derniers n’étaient que des seconds couteaux sans le titre de ministre, tous au service du chef de Bercy. À des années lumières des sept ministres et ministres délégués nommés en 2012. Avec deux patrons on s'en rapproche, mais selon un député socialiste "on risquera encore la cacophonie".
Nicolas Sarkozy n'a jamais voulu du système à une tête. L’ancien président voulait "casser la forteresse de l’économie et des finances", selon les mots de François Fillon dans L’Enfer de Matignon (2008, Albin Michel). L'ancien président savait à quel rouleau compresseur il avait à faire, lui qui avait été chargé du Budget en 1993, puis de l’Economie et des Finances en 2004.
Cette décision a conduit à la création de deux ministères, sans lien hiérarchique, laissant libre cours aux rivalités. Celui de l’Economie et des Finances d’un côté (Christine Lagarde), celui du Budget de l’autre (Eric Woerth). Le premier avait pour mission la politique macroéconomique, les relations avec la finance et l’émission de la dette française. Le Budget se chargeait, quant à lui, de la levée de l’impôt, afin de veiller à l’équilibre des comptes. Si Michel Sapin et Arnaud Montebourg ne se partagent pas exactement ces mêmes fonctions, Bercy retrouve un dispositif bicéphale.
Longtemps, un Bercy unifié pouvait s'apparenter à un contre-pouvoir trop important, faisant de l’ombre à Matignon. Avec la confrontation de ses deux ministres, Nicolas Sarkozy a ainsi assuré son mandat en divisant pour mieux régner. Bien que partenaire politique d'Arnaud Montebourg, Manuel Valls se prévient donc d'un ministre trop influent.
Montebourg profite de son influence sur la gauche du PS
"Le nouveau gouvernement est une satisfaction, c'est une alchimie réussie", explique Patrice Prat, député PS du Gard. "Ni trop Hollande, ni trop Valls, il devrait offrir plus de solidité que le précédent", commente ce proche du nouveau ministre de l'Economie. Il faut dire que la présence d'Arnaud Montebourg donne des gages de satisfaction à l'aile gauche du parti. Jugé trop social-libéral, le PS a été durement sanctionné par l'abstention des électeurs de gauche lors des municipales.
Arnaud Montebourg sera donc un acteur majeur dans l'élaboration du pacte de responsabilité. Il rassure à l'heure où Matignon tombe dans l'escarcelle du courant droitier du PS. "Arnaud contribuera également à desserrer l'étau de Bruxelles", prophétise Patrice Prat, peut-être un peu trop optimiste depuis la nouvelle configuration. "Son autorité et sa fermeté pourront peser", rajoute-t-il. Mais pour le protocole, c'est bien Michel Sapin qui doit aller défendre les intérêts de la France auprès de la Commission européenne. Et les banques d'affaires ont déjà enregistré cette information...
Arnaud Montebourg a pour lui le respect des grands patrons. Auparavant honni par les capitaines d'industrie, le défenseur du "made in France" croule aujourd'hui sous les déclarations d'amour. Tour à tour, Antoine Frérot (Veolia), Denis Ranque (Airbus), Chris Veihbacher (Sanofi), Martin Bouygues (Bouygues) ou encore Vincent Bolloré (Vivendi) ont pris ces dernières semaines sa défense, saluant son discours volontariste et sa priorité pour l'industrie nationale.
Même L'Usine nouvelle, hebdomadaire de référence pour les décideurs industriels, s'est fendue d'un édito le 18 mars intitulé: "Remaniement: il faut garder le soldat Montebourg". Difficile donc de composer sans ce poids lourd atypique, bénéficiant des faveurs des patrons et de la gauche du PS. Il faudra désormais observer la cohabitation avec Michel Sapin, plus discret mais supérieur au niveau protocolaire. Le tempérament de feu de l'ambitieux ministre pourrait à nouveau faire des dégâts. À part, bien sûr, si sa récente promotion ne l'encourage à s'apaiser...
À Michel Sapin la conduite du budget et des relations avec Bruxelles et les marchés. Arnaud Montebourg aura à sa charge le dialogue avec les entreprises et "l'économie réelle". Son périmètre englobera également le secteur anciennement dévolu à Fleur Pellerin, que les milieux entrepreneuriaux voulaient voir à la tête d'un grand ministère du Numérique. En vain, Arnaud Montebourg sera le seul maître à bord. Selon son entourage, cette issue est même "un soulagement".
Reste maintenant à savoir qui sera le vrai chef de Bercy. Selon l'ordre protocolaire, c'est Michel Sapin. Et le Financial Times ne s'y est pas trompé en annonçant que Pierre Moscovici avait été remplacé par l'ancien ministre du Travail.
Sur le papier, ça ne fait aucun doute. Mais Arnaud Montebourg a arraché un dernier pion capital: il bénéficiera d'une co-tutelle sur la très influente direction générale du Trésor, traditionnellement réservée au seul ministre des Finances. C'est elle qui joue le rôle d'analyse économique dans l'élaboration et la conduite de la politique de l'Etat. Avec un droit de regard, Arnaud Montebourg peut donc au moins se féliciter d'être un vrai "numéro 1 bis". Et il a aussi pour lui la puissance de l'axe qu'il a tracé avec Matignon.
Un temps adversaires, parfois même ennemis, Arnaud Montebourg et Manuel Valls ont mis de l'eau dans leur vin. Partisans d'un certain patriotisme économique, volontiers "eurocritiques" plutôt que "eurobéats", ils appartiennent aussi à une génération longtemps ignorée par les "éléphants" du PS. Il y a donc clairement une ligne tirée entre Matignon et Bercy... mais aussi avec l'Elysée, car Michel Sapin est un compagnon historique du président. Un but partout, balle au centre. "Cela nous promet de rudes négociations", prévient l'entourage du turbulent ministre.
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À la formation du gouvernement Jospin, Matignon avait exigé un seul ministre, très puissant politiquement, affublé de toute une palette de secrétaires d’Etat. Ces derniers n’étaient que des seconds couteaux sans le titre de ministre, tous au service du chef de Bercy. À des années lumières des sept ministres et ministres délégués nommés en 2012. Avec deux patrons on s'en rapproche, mais selon un député socialiste "on risquera encore la cacophonie".
Nicolas Sarkozy n'a jamais voulu du système à une tête. L’ancien président voulait "casser la forteresse de l’économie et des finances", selon les mots de François Fillon dans L’Enfer de Matignon (2008, Albin Michel). L'ancien président savait à quel rouleau compresseur il avait à faire, lui qui avait été chargé du Budget en 1993, puis de l’Economie et des Finances en 2004.
Cette décision a conduit à la création de deux ministères, sans lien hiérarchique, laissant libre cours aux rivalités. Celui de l’Economie et des Finances d’un côté (Christine Lagarde), celui du Budget de l’autre (Eric Woerth). Le premier avait pour mission la politique macroéconomique, les relations avec la finance et l’émission de la dette française. Le Budget se chargeait, quant à lui, de la levée de l’impôt, afin de veiller à l’équilibre des comptes. Si Michel Sapin et Arnaud Montebourg ne se partagent pas exactement ces mêmes fonctions, Bercy retrouve un dispositif bicéphale.
Longtemps, un Bercy unifié pouvait s'apparenter à un contre-pouvoir trop important, faisant de l’ombre à Matignon. Avec la confrontation de ses deux ministres, Nicolas Sarkozy a ainsi assuré son mandat en divisant pour mieux régner. Bien que partenaire politique d'Arnaud Montebourg, Manuel Valls se prévient donc d'un ministre trop influent.
Montebourg profite de son influence sur la gauche du PS
"Le nouveau gouvernement est une satisfaction, c'est une alchimie réussie", explique Patrice Prat, député PS du Gard. "Ni trop Hollande, ni trop Valls, il devrait offrir plus de solidité que le précédent", commente ce proche du nouveau ministre de l'Economie. Il faut dire que la présence d'Arnaud Montebourg donne des gages de satisfaction à l'aile gauche du parti. Jugé trop social-libéral, le PS a été durement sanctionné par l'abstention des électeurs de gauche lors des municipales.
Arnaud Montebourg sera donc un acteur majeur dans l'élaboration du pacte de responsabilité. Il rassure à l'heure où Matignon tombe dans l'escarcelle du courant droitier du PS. "Arnaud contribuera également à desserrer l'étau de Bruxelles", prophétise Patrice Prat, peut-être un peu trop optimiste depuis la nouvelle configuration. "Son autorité et sa fermeté pourront peser", rajoute-t-il. Mais pour le protocole, c'est bien Michel Sapin qui doit aller défendre les intérêts de la France auprès de la Commission européenne. Et les banques d'affaires ont déjà enregistré cette information...
"Pour nous, pas de doute, c'est bien M. Sapin qui sera assis sur le fauteuil de Bercy, pas Montebourg". (économiste de Barclays) #BFMbiz
— Sébastien Couasnon (@SCouasnonBFM) 2 Avril 2014
Arnaud Montebourg a pour lui le respect des grands patrons. Auparavant honni par les capitaines d'industrie, le défenseur du "made in France" croule aujourd'hui sous les déclarations d'amour. Tour à tour, Antoine Frérot (Veolia), Denis Ranque (Airbus), Chris Veihbacher (Sanofi), Martin Bouygues (Bouygues) ou encore Vincent Bolloré (Vivendi) ont pris ces dernières semaines sa défense, saluant son discours volontariste et sa priorité pour l'industrie nationale.
Même L'Usine nouvelle, hebdomadaire de référence pour les décideurs industriels, s'est fendue d'un édito le 18 mars intitulé: "Remaniement: il faut garder le soldat Montebourg". Difficile donc de composer sans ce poids lourd atypique, bénéficiant des faveurs des patrons et de la gauche du PS. Il faudra désormais observer la cohabitation avec Michel Sapin, plus discret mais supérieur au niveau protocolaire. Le tempérament de feu de l'ambitieux ministre pourrait à nouveau faire des dégâts. À part, bien sûr, si sa récente promotion ne l'encourage à s'apaiser...
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