Cela semble aujourd'hui inévitable. Dans un avenir relativement proche, les US vont perdre le contrôle de l'Internet.
Le gouvernement américain exerce ce contrôle depuis 16 ans par le biais de l'ICANN. L'organisme, dont le patronyme acronymique signifie Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, fut créé en 1998 par l'administration Clinton pour superviser le système de nommage et d'adressage de l'Internet. En résumé, l'attribution des noms de domaine et des adresses IP ainsi que la gestion de leurs protocoles techniques.
L'ambition était louable. Les US avaient déjà compris deux choses. D'abord, l'Internet allait connaître une évolution aussi considérable que mondiale. Ensuite, un seul pays ne pourrait longtemps prétendre posséder les clefs techniques du Web.
Concrètement, comment s'opère ce contrôle ? Par le biais d'un autre acronyme : l'IANA. Cet Internet Assigned Numbers Authority est tout simplement la racine de l'Internet. Ainsi, la fonction IANA détermine quelles extensions Internet sont actives sur la Toile. Un pouvoir considérable. En théorie, les US pourraient débrancher l'extension de n'importe quel pays. Le .FR français par exemple. De ce côté ci de l'Atlantique, l'impact s'en ferait vite sentir : les sites Internet se terminant par un ".fr" deviendraient l'un après l'autre injoignables !
Effets collatéraux
De tels scénarios catastrophes ont longtemps parus aussi farfelus qu'un blockbuster hollywoodien. D'ailleurs les questions du contrôle de l'Internet et celles, liées, de sa gouvernance, sont longtemps restées inconnues du grand public. Le débat restait principalement nombriliste. L'apanage de quelques techniciens connaisseurs se donnant bonne conscience en discutant de comment faire évoluer le système de gouvernance dont ils assuraient eux-mêmes la sauvegarde.
Pour autant, ces discussions confidentielles ont débouchées sur de réelles avancées. En 2003, le Sommet Mondial sur la Société de l'Information fut initié par l'Union Internationale des Télécommunications, une agence de l'Organisation des Nations Unies. Deux modes de gouvernance s'entrechoquaient alors. D'un côté, la gouvernance traditionnelle (incarnée par l'ONU) dans laquelle seuls les gouvernements ont le droit de parler. De l'autre la gouvernance deux point zéro du système ICANN, qui permet au secteur privé, à la société civile, à la recherche ou encore aux utilisateurs de s'asseoir à la même table que les gouvernements.
Ce type d'interaction internationale a amené le gouvernement américain à assouplir son lien contractuel avec l'ICANN en 2009. Pour la première fois de son histoire, l'ICANN n'était plus directement subordonnée au Département du Commerce.
Mais la fonction IANA, elle, continuait d'être attribuée à l'ICANN par le biais d'un contrat séparé avec le gouvernement américain. Une situation devenue beaucoup plus difficile à tenir suite aux révélations d'Edward Snowden sur le programme de cybersurveillance de son pays.
L'Amérique était démasquée ! Oui, ce pays historiquement bienfaiteur pour le développement de l'Internet était prêt à abuser de sa situation privilégiée à la fois en matière de contrôle du réseau et de ses principaux acteurs ! L'onde de choc résultante amène aujourd'hui une remise en cause généralisée de la mainmise technique des US sur le Web.
Et tu ICANN!
Surprise, c'est dans le camp américain qu'est née la sédition. En octobre dernier, les principaux organismes du Net, l'ICANN en tête, ont tous appelés à la "mondialisation de l'ICANN et de l'IANA."
Immédiatement après avoir rédigé cet appel, le patron de l'ICANN Fadi Chehadé s'est envolé pour le Brésil. Avec la présidente brésilienne Dilma Rousseff, Chehadé a mis sur pied l'organisation d'une conférence mondiale sur la gouvernance du Net en avril prochain, quelque jours seulement après une autre conférence internationale, cette fois organisée par l'ICANN à Singapour.
Pour Chehadé, il fallait franchir ce Rubicon vers un pays qui mène pourtant depuis des années la fronde contre la gestion américaine. "La notion même d'un contrôle exercé par un seul pays n'est aujourd'hui plus tenable," a-t-il réaffirmé courant février, lors d'un déplacement à Paris.
Nul n'est prophète...
Les organismes techniques majeurs du Web (tous de culture américaine), l'ICANN... et aujourd'hui une des grandes universités américaines faisant autorité sur les questions de gouvernance Internet ! Décidément, on n'est jamais mieux trahi que par ses propres amis.
L'université de Syracuse vient de publier une "feuille de route pour mondialiser l'IANA" ! Ecrit par le professeur Milton Mueller et le docteur Brenden Kuerbis, par ailleurs acteurs clefs du "projet de gouvernance Internet", ce document propose de séparer l'ICANN et l'IANA et de confiant cette dernière à un consortium international.
Les deux hommes vont présenter leur feuille de route lors de la réunion ICANN de Singapour et lors de la réunion brésilienne d'avril. Leur espoir : proposer une alternative viable à la gouvernance actuelle trop biaisée en faveur de leur pays, et ainsi éviter de voir le Net devenir un outil de contrôle généralisé pour tous les gouvernements du monde.
Car ces propositions n'ont en fait rien à voir avec une quelconque trahison. Chehadé, Mueller et les autres ne veulent absolument pas poignarder leur propre gouvernement dans le dos. Ils cherchent au contraire à éviter le cauchemar d'une gouvernance de l'Internet exclusivement assurée au niveau gouvernemental. Pour eux, un tel système sonnerait au mieux le glas de l'esprit d'innovation libre qui a fait d'Internet un outil si formidable. Au pire cela donnerait à des gouvernements peu friands des libertés individuelles l'arme parfaite pour les écraser.
Le gouvernement américain exerce ce contrôle depuis 16 ans par le biais de l'ICANN. L'organisme, dont le patronyme acronymique signifie Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, fut créé en 1998 par l'administration Clinton pour superviser le système de nommage et d'adressage de l'Internet. En résumé, l'attribution des noms de domaine et des adresses IP ainsi que la gestion de leurs protocoles techniques.
L'ambition était louable. Les US avaient déjà compris deux choses. D'abord, l'Internet allait connaître une évolution aussi considérable que mondiale. Ensuite, un seul pays ne pourrait longtemps prétendre posséder les clefs techniques du Web.
Concrètement, comment s'opère ce contrôle ? Par le biais d'un autre acronyme : l'IANA. Cet Internet Assigned Numbers Authority est tout simplement la racine de l'Internet. Ainsi, la fonction IANA détermine quelles extensions Internet sont actives sur la Toile. Un pouvoir considérable. En théorie, les US pourraient débrancher l'extension de n'importe quel pays. Le .FR français par exemple. De ce côté ci de l'Atlantique, l'impact s'en ferait vite sentir : les sites Internet se terminant par un ".fr" deviendraient l'un après l'autre injoignables !
Effets collatéraux
De tels scénarios catastrophes ont longtemps parus aussi farfelus qu'un blockbuster hollywoodien. D'ailleurs les questions du contrôle de l'Internet et celles, liées, de sa gouvernance, sont longtemps restées inconnues du grand public. Le débat restait principalement nombriliste. L'apanage de quelques techniciens connaisseurs se donnant bonne conscience en discutant de comment faire évoluer le système de gouvernance dont ils assuraient eux-mêmes la sauvegarde.
Pour autant, ces discussions confidentielles ont débouchées sur de réelles avancées. En 2003, le Sommet Mondial sur la Société de l'Information fut initié par l'Union Internationale des Télécommunications, une agence de l'Organisation des Nations Unies. Deux modes de gouvernance s'entrechoquaient alors. D'un côté, la gouvernance traditionnelle (incarnée par l'ONU) dans laquelle seuls les gouvernements ont le droit de parler. De l'autre la gouvernance deux point zéro du système ICANN, qui permet au secteur privé, à la société civile, à la recherche ou encore aux utilisateurs de s'asseoir à la même table que les gouvernements.
Ce type d'interaction internationale a amené le gouvernement américain à assouplir son lien contractuel avec l'ICANN en 2009. Pour la première fois de son histoire, l'ICANN n'était plus directement subordonnée au Département du Commerce.
Mais la fonction IANA, elle, continuait d'être attribuée à l'ICANN par le biais d'un contrat séparé avec le gouvernement américain. Une situation devenue beaucoup plus difficile à tenir suite aux révélations d'Edward Snowden sur le programme de cybersurveillance de son pays.
L'Amérique était démasquée ! Oui, ce pays historiquement bienfaiteur pour le développement de l'Internet était prêt à abuser de sa situation privilégiée à la fois en matière de contrôle du réseau et de ses principaux acteurs ! L'onde de choc résultante amène aujourd'hui une remise en cause généralisée de la mainmise technique des US sur le Web.
Et tu ICANN!
Surprise, c'est dans le camp américain qu'est née la sédition. En octobre dernier, les principaux organismes du Net, l'ICANN en tête, ont tous appelés à la "mondialisation de l'ICANN et de l'IANA."
Immédiatement après avoir rédigé cet appel, le patron de l'ICANN Fadi Chehadé s'est envolé pour le Brésil. Avec la présidente brésilienne Dilma Rousseff, Chehadé a mis sur pied l'organisation d'une conférence mondiale sur la gouvernance du Net en avril prochain, quelque jours seulement après une autre conférence internationale, cette fois organisée par l'ICANN à Singapour.
Pour Chehadé, il fallait franchir ce Rubicon vers un pays qui mène pourtant depuis des années la fronde contre la gestion américaine. "La notion même d'un contrôle exercé par un seul pays n'est aujourd'hui plus tenable," a-t-il réaffirmé courant février, lors d'un déplacement à Paris.
Nul n'est prophète...
Les organismes techniques majeurs du Web (tous de culture américaine), l'ICANN... et aujourd'hui une des grandes universités américaines faisant autorité sur les questions de gouvernance Internet ! Décidément, on n'est jamais mieux trahi que par ses propres amis.
L'université de Syracuse vient de publier une "feuille de route pour mondialiser l'IANA" ! Ecrit par le professeur Milton Mueller et le docteur Brenden Kuerbis, par ailleurs acteurs clefs du "projet de gouvernance Internet", ce document propose de séparer l'ICANN et l'IANA et de confiant cette dernière à un consortium international.
"Le gouvernement américain aurait dû lâcher le contrôle technique de l'Internet il y a bien longtemps," affirme Kuerbis. "Ne pas l'avoir fait a poussé d'autres pays, y compris ceux avec des régimes autoritaires, à exiger le même niveau de contrôle que les US." Et Mueller de poursuivre : "Sans engagement concret et structuré vers une gouvernance non étatique de l'Internet, nous risquons de voir cette gouvernance aller vers des organisations intergouvernementales."
Les deux hommes vont présenter leur feuille de route lors de la réunion ICANN de Singapour et lors de la réunion brésilienne d'avril. Leur espoir : proposer une alternative viable à la gouvernance actuelle trop biaisée en faveur de leur pays, et ainsi éviter de voir le Net devenir un outil de contrôle généralisé pour tous les gouvernements du monde.
Car ces propositions n'ont en fait rien à voir avec une quelconque trahison. Chehadé, Mueller et les autres ne veulent absolument pas poignarder leur propre gouvernement dans le dos. Ils cherchent au contraire à éviter le cauchemar d'une gouvernance de l'Internet exclusivement assurée au niveau gouvernemental. Pour eux, un tel système sonnerait au mieux le glas de l'esprit d'innovation libre qui a fait d'Internet un outil si formidable. Au pire cela donnerait à des gouvernements peu friands des libertés individuelles l'arme parfaite pour les écraser.