ARMEE - Des femmes à bord des sous-marins de l'armée française. Vous pensiez peut-être que cela existait déjà.
Et bien non. Le premier test sera lancé à partir de 2017, a annoncé mardi 15 avril Jean-Yves Le Drian.
Le ministre de la Défense dévoilait son plan d'action pour l'égalité femme-homme et la lutte contre les harcèlements dans l'armée. Elles sont aujourd'hui 60.000 ce "qui fait de l'armée française l'une des plus féminisées au monde", a rappelé le ministre.
Deux mesures symboliques ont été annoncées. Premièrement, l'inscription du harcèlement dans le Code de la Défense pour lutter plus efficacement contre
ce fléau mis à jour par un récent livre (
La guerre invisible, Ed. Les Arènes et Causette).
Et donc, deuxième annonce, l'ouverture aux femmes des sous-marins, dernier bastion exclusivement masculin. D'ici à trois ans, trois femmes, dont un médecin, embarqueront à bord d'un sous-marin nucléaire lanceur d'engins. Ces SNLE seront les seuls concernés car leur habitacle est plus vaste et permettra l'aménagement de dortoirs féminins pour des missions qui s'annoncent longues. Dès l'année prochaine, les prétendantes entreront en formation pour deux ans.
C'est un gros défi, confie au
Monde, un connaisseur du dossier. Il rappelle qu'un SNLE, "
c'est deux mois et demi sous l'eau, deux fois par an, dans la promiscuité, sans escale". Mais l'armée française ne sera pas la première à le faire.
La France suit ainsi le mouvement initié pas plusieurs armées. De longue date, les femmes plongent à bord de sous-marins classiques (missions moins longues) en Australie, au Canada, en Norvège ou en Suède. Quant à
la Navy américaine, elle a ouvert ses sous-marins nucléaires aux femmes en 2012, suivie un an plus tard par
la Royal Navy britannique.
Une tendance entamée il y a un siècle
Symbolique, cette décision, qui intervient 21 ans après l'ouverture de l'école navale aux femmes, achève de garantir l'égalité d'accès aux métiers de la défense pour les deux sexes. Elle s'inscrit dans un mouvement sociétal plus large entamé à la fin du XIXè siècle dont témoigne l'émergence des premiers mouvements féministes. Une
belle époque, dira-t-on rétrospectivement, au cours de laquelle de nombreuses femmes entreprirent, souvent contre la volonté des institutions, d'investir ces métiers dits d'hommes (voir notre diaporama en fin d'article).
Plus d'un siècle plus tard, le constat est sans appel. En dépit de quelques rares métiers qui demeurent interdits aux femmes, comme certaines professions du bâtiment, l'immense majorité des emplois sont aujourd'hui ouverts. Est-ce à dire qu'égalité d'accès signifie égalité de fait? Loin s'en faut.
Un chiffre en témoigne. Selon une étude de la
Dares publiée fin 2013, pour aboutir à une répartition égalitaire des femmes et des hommes dans les différents métiers, il faudrait que la moitié des femmes (ou des hommes) changent de profession. La bonne nouvelle? Cet indice de ségrégation a diminué de 4 points entre 1983 et 2011. Mais derrière cet indéniable surcroît d'égalité, une autre réalité se dessine. C'est celle d'une majorité de métiers à dominance masculine, c'est aussi celle de professions très fortement assignés à des genres.
Ségrégation
S'il y a moins de métiers d'hommes qu'avant, à l'inverse la féminisation de certains métiers demeure puissante. Parmi les 10 professions où les femmes sont les plus nombreuses (aides à domicile et ménagères, agents d'entretien, aides-soignant, infirmiers, sage-femmes...), il y a proportionnellement plus de femmes que d'hommes parmi les 10 métiers qui comptent le plus d'hommes (conducteurs, ouvriers qualifiés du bâtiment, techniciens, armée, police, pompiers...).
En trente ans, des métiers qui étaient mixtes se sont "masculinisés", notamment parmi les ouvriers non qualifiés de la manutention ou les agriculteurs. La raison? Les conjointes des agriculteurs ne travaillent plus dans leur exploitation.
Dans le même temps, d'autres métiers mixtes au cours des années 1980 se sont quant à eux féminisés. C'est le cas des professions de techniciens des services administratifs, comptables et financiers, mais aussi de la banque et des assurances. La seule profession féminine qui est devenue mixte va quant à elle vous étonner: il s'agit des employés ou des opérateurs... de l'informatique.
La science fait de la résistance
La répartition par genre demeure donc puissante, elle est aussi inégalitaire. La ségrégation est plus importante pour les jeunes, les parents de trois enfants ou plus, les personnes de nationalité étrangères, ou celles qui vivent en province par rapport à Paris et dépend aussi du diplôme.
C'est une constante depuis les années 1980, les hommes et les femmes les plus diplômés occupent de plus en plus les mêmes emplois. "La réussite scolaire des filles a permis une montée des qualifications et leur accès à des métiers autrement occupés essentiellement par des hommes", précise la Dares. Parmi les 5 métiers majoritairement "masculins" qui sont devenus mixtes au cours des trente dernières années, tous sont des emplois qualifiés: cadres administratifs comptables et financiers, cadres de la fonction publique, cadres des banques et des assurances, attachés commerciaux et représentants.
Ce qui ne veut pas dire qu'un diplôme garantie l'accès un métier moins ségrégé. La preuve par la science, où les femmes font encore cruellement défaut.
Au collège comme au lycée, les filles ont pourtant de meilleurs résultats que les garçons. Plus nombreuses à obtenir le brevet ou le bac général, elles sont en revanche moins nombreuses que les garçons à intégrer une 1re scientifique, alors qu'arrivées en classes préparatoires, ça se dégrade à nouveau. En termes de publications scientifiques signées par des femmes, la France fait tout de même mieux que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine ou encore l'Allemagne, mais moins bien que les pays d'Amérique du Sud ou de l'ex-bloc de l'Est où la règle est à la parité remarquait récemment la prestigieuse revue Nature.
Les raisons? Elles sont multiples. "C'est avant tout une question d'éducation même si, de manière générale, l'abstraction n'attire pas tellement les femmes", remarque Pascale Vicat-Blanc, chercheuse, dirigeante d'une entreprise de recherche en informatique et lauréate 2013 du prix de l'innovation lnria - Académie des sciences - Dassault Systèmes.
"Beaucoup de jeunes femmes très fortes en sciences vont se diriger vers la médecine", continue-t-elle. Un comble selon la chercheuse, d'autant plus que "les femmes ont ce goût de la perfection et de l'efficacité qui fait parfois défaut aux hommes". Problème, lorsqu'elles arrivent aux portes du monde de la recherche, les femmes s'interdiraient de franchir le pas. "En matière d'avancement et de recrutement, il y a quelque chose qui relève typiquement des femmes en termes de manque de confiance", a-t-elle remarqué.
Retour au genre donc. "Entre le début du XXè siècle et aujourd'hui, l'évolution est phénoménale d'un côté, tandis que d'un autre, les situations se ressemblent", résume Juliette Rennes.
"Aujourd'hui, les frontières entre métiers d'hommes et de femmes se sont recomposées et la vraie question est celle de l'ouverture des possibles". C'est aussi celle des représentations sociales, "ceux qui dénonçaient récemment un prétendu enseignement de la théorie du genre l'ont bien senti," remarque-t-elle.
"Les parcours sociaux, familiaux et professionnels des hommes et des femmes ne peuvent être la simple résultante de préférences individuelles, ils résultent aussi des systèmes de représentations figés, de clichés de ce qui fait traditionnellement le masculin et le féminin", affirmait opportunément un rapport récent du Commissariat général à la stratégie sur la lutte contre les stéréotypes filles-garçons remis à la ministre du Droit des femmes Najat Vallaud-Belkacem.
Cette donnée, certains acteurs inattendus mais non moins importants, en sont particulièrement conscients. C'est par exemple le cas de la banque d'image Getty qui s'est récemment associée à la fondation Lean In, créée par la dirigeante de Facebook Sheryl Sandberg pour renouveler son stock d'images représentant des femmes.
Au travail, en famille, dans la vie de tous les jours, l'objectif de ces quelques 2.500 visuels qui seront utilisés par des journalistes, des publicitaires et des créatifs est clair: actualiser l'image des femmes, pour faire évoluer la mentalités de tous. Plus que jamais, la question des femmes et des "métiers d'hommes" est un
work in progress.
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