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Vénézuela: d'une révolte populaire l'autre

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En dehors de la twittosphère et de quelques médias, la nouvelle était quelque peu passée inaperçue: à la mi-février, Twitter a accusé le Venezuela d'avoir bloqué la publication d'images sur son réseau, alors que le pays était déjà le théâtre de manifestations étudiantes et d'atteintes caractérisées aux droits humains.

La mobilisation antigouvernementale persistante a contribué à lézarder la façade de démocratie électorale mise en avant à usage de la communauté internationale par un gouvernement ayant fait de la polarisation idéologique un mode de gouvernance et du silence complice des gauches occidentales un élément de propagande.

En cette fin du mois de février, le pays "officialiste" devait fêter l'anniversaire d'un événement clé dans la constitution de l'imaginaire bolivarien : la révolte populaire du 27 février 1989, surgie de la résistance aux diktats du FMI appliqués par le président Carlos Andrés Pérez, et occasion de la prise de conscience d'un groupe de jeunes officiers, parmi eux Hugo Chávez.

Or, comme le soulignait l'analyste Rocío San Miguel, c'est la première fois depuis cette date que le pouvoir en place a recours à une répression aussi "indiscriminée" envers des manifestants et la population civile en général.

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Depuis l'arrivée au pouvoir de Hugo Chávez en 1999, la Révolution bolivarienne avait fondé sa légitimité sur de nombreuses victoires électorales et un appui populaire incontestable. La marge étroite (moins de 1% des suffrages d'après les chiffres officiels) par laquelle Nicolás Maduro a succédé à son charismatique prédécesseur ne pouvait, de toute évidence, lui permettre de se présenter en incarnation de la volonté populaire.

Dans le même temps, des signaux répétés attestaient d'une montée de l'autoritarisme et d'un appel au dialogue purement rhétorique, si l'on considère l'adoption en novembre 2013 d'une loi habilitante -la cinquième depuis 1999-, conférant au président les pleins pouvoirs afin de faire face à la "guerre économique", et la censure pesant sur les médias, y compris par des voies aussi détournées que le manque de papier pour imprimer les quotidiens.

Dans ce contexte, l'opposition se trouvait divisée entre attentisme électoral, ligne défendue par l'ancien candidat Henriques Capriles, et des formes de protestation plus radicales. Telle est la position mise en avant par le coordinateur du parti Voluntad Popular (Volonté populaire) -parti invité au conseil de l'Internationale socialiste de novembre 2013-, Leopoldo López, économiste bête noire du régime depuis de nombreuses années au point de s'être vu privé de la possibilité de se présenter à des élections malgré l'arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits humains. Un ancien idéologue du chavisme, Heinz Dieterich, en vint à proposer l'impensable: un gouvernement de "salut national" réunissant partisans du présent Maduro et représentants de l'opposition.

Les événements de ces derniers jours montrent par ailleurs que les héritiers du chavisme ne peuvent se contenter de surfer sur l'habituelle rhétorique anti-impérialiste -alors même que les relations diplomatiques avec les Etats-Unis sont sur le point de reprendre, avec échange d'ambassadeurs-, et de dénoncer les tentatives d'ingérence en provenance de l'Empire ou du voisin colombien.

Tout aussi improductive est la dénonciation de manifestants systématiquement qualifiés de "fascistes" alors que l'opposition risque désormais d'avoir son martyr, comme le soulignait le quotidien espagnol El País. Sous le coup d'un mandat d'arrêt, L. López s'est en effet rendu aux autorités après un dernier discours prononcé depuis la statue de José Marti (héros national cubain et théoricien de l'indépendance de l'île à la fin du XIXe s.) à Caracas. L'émergence, au sein de l'opposition, de leaderships favorables à la mobilisation et à la désobéissance civile en tant que salida (issue, sortie à la crise), en la personne de Leopoldo López, María Corina Machado, ou Antonio Ledesma, constituent à la fois l'un des enseignements et l'une des interrogations de ces derniers jours. Ils attestent toutefois de l'extrême fragilité institutionnelle d'un pays en proie à la violence et à l'incertitude présidant désormais au modèle révolutionnaire porté par ses nouvelles élites.

L'échec de la concertation se superpose en effet à une crise économique généralisée, comme en témoignent des indicateurs négatifs (inflation, chômage). S'y ajoute le silence des forces armées, autrefois promptes à intervenir dans le débat politique, d'un côté comme de l'autre, au point que l'on reprochait à la Constitution bolivarienne (1999) d'avoir transformé l'armée en parti politique.

Le silence également de la communauté internationale -à l'exception de quelques gouvernements et d'organisations de défense des droits humains- qui se limite à manifester sa "préoccupation" et à réaffirmer la nécessité d'un hypothétique dialogue. L'une des explications possibles à cette incompréhension manifeste résiderait dans la nature même du gouvernement, à la fois stable, mais pas nécessairement en position de force, comme le souligne Carlos Romero, spécialiste des relations internationales.

L'Etat vénézuélien est stable dans la mesure où il n'est confronté à aucun contre-pouvoir (politique, militaire, social voire international). L'Etat demeure le détenteur du monopole de la force, comme en témoigne la répression mise en œuvre par la Garde nationale, cependant contestée de l'intérieur du chavisme, et dont certains excès ont été reconnus par Maduro lui-même. Sa relative faiblesse tient en revanche à deux facteurs: la difficulté à contrôler la crise économique, qui affecte au quotidien l'électorat populaire malgré des directives visant à l'approfondissement de la "révolution" (manque de produits de première nécessité, inflation, insécurité, contrôle des devises), et la montée en puissance, certes relative, de l'opposition.

A l'absence de solution à court terme, au poids acquis par les réseaux sociaux dans le contournement de la censure appliquée aux médias s'ajoutent désormais les prises de position de certains hiérarques chavistes, ainsi J.G. Vielma Mora, gouverneur de l'Etat du Táchira (d'où est partie la révolte, actuellement militarisé), qui n'hésite pas à se démarquer de la position officielle, dénonçant la répression orchestrée par la Garde nationale et réclamant la libération des prisonniers politiques.

Les protestations étudiantes, catalyseur du mouvement actuel, symbolisent toutefois l'échec du message politique sur lequel H. Chávez avait fondé sa popularité: la dénonciation du passé et la promesse d'un avenir meilleur. Pour la génération qui manifeste aujourd'hui et n'a connu que les gouvernements de Chávez et de Maduro, les promesses sont loin d'avoir été tenues et c'est le chavisme qui est associé au passé, alors qu'approche une autre date anniversaire, celle de la disparition du leader bolivarien le 5 mars 2013.

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