Fin août, début septembre, les salles obscures s'illuminent du nouveau film d' Olivier Assayas : Sils Maria.
C'est un film sur le temps qui passe. Drame banal et universel; le coeur même de la condition humaine. Qui mieux pour incarner ce drame qu' une actrice dont le rapport à son image est exacerbé à l'extrême? Quelle meilleure actrice que Juliette Binoche qu'Olivier Assayas rencontra dans leur commune jeunesse : elle a vingt ans, lui trente, au moment où elle joue dans Rendez-vous, un film d'André Téchiné co-écrit avec Assayas.
Le film d'aujourd'hui, Sils Maria, raconte l'histoire de Maria, une comédienne célèbre à qui l'on propose de reprendre une pièce, jadis interprétée par la jeune fille qu'elle a été, en endossant cette fois le rôle de la femme mûre. Cruel retournement de situation dont elle tente de s'échapper par toutes sortes de stratagèmes et d'arguments pour finir par faire face à la douleur du temps qui passe.
Retrouvailles grandioses pour le cinéaste et l'actrice, dans les montagnes vertigineuses de Sils Maria au nom chargé d'histoire. Chez ce réalisateur français infiniment ouvert sur le monde, par ses origines comme par son regard, l'Espace et le Temps font la profondeur du champ. Nous ne sommes pas là, sortis de rien, ex-nihilo; nous sommes le fruit de notre petite histoire, comme de la grande Histoire. Ici, cet exceptionnel paysage suisse porte l'empreinte de Nietzche, de Rilke, mais aussi, moins connu, celle d'un géologue alpiniste, pionnier de la prise de vue en altitude qui fit un documentaire en 1923 sur le phénomène nuageux de Maloja, fuyant d'abord les nazis puis revenant en Allemagne en 1939 pour prendre sa carte et faire des films de propagande.
Mais le film ne se focalise pas seulement sur le passé. Sont présents l'hypercontemporain avec les mobiles et les tablettes, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux..; et même le futur avec la science-fiction. Tout cela suscite des questions, principalement autour du thème complexe de l'identité et de l'image de soi dans les yeux des autres. La mélancolie n'est pas absente mais pas au point d'anéantir l'espoir : on devine de l'autre côté de la vallée, derrière les brumes,la lumière qui vient de « l'innocence du devenir » (selon la belle expression de Nietzche).
Des questions et des perspectives. Oeuvre ouverte offerte aux spectateurs et non repliée sur les certitudes de son créateur. C'est la fonction même de l'art pour Assayas : soulever des interrogations. C'est ce qui signe l'intelligence et la modernité de son approche.
Et en cinéma, cela doit se faire de manière naturelle et vivante. On se souvient de cette scène où la comédienne ose contester les mots de l'auteur, lorsqu'elle juge la réplique « abstraite », « théorique », sonnant « faux ». Car si le texte est essentiel chez ce cinéaste intellectuel, l'incarnation l'est tout autant. Il faut que « le verbe se fasse chair » affirme-t-il et cela détermine sa façon de travailler avec les acteurs pour les amener à cette fluidité.
Il faut lire en contrepoint de ce beau film, le passionnant livre d'entretiens*
d'Olivier Assayas avec le critique de cinéma Jean-Michel Frodon. Précieux document où l'on comprend à quel point, chez cet artiste, la vie, l'écriture et le cinéma se fécondent, voire se superposent.
Il éclaire ainsi la singularité de sa démarche artistique : « Ce qui est en jeu, c'est la matière même de ta vie, de ton expérience du monde, en somme de ta perception, consciente ou inconsciente. Il ne s'agit pas d'autobiographie au sens direct du terme, et encore moins d' autofiction, mais de cinéma à la première personne; de la transposition dans le registre de la fiction de sensations vécues - plutôt que des faits précis- et parfois douloureuses. ».
Au sommet de son art, l'un de nos meilleurs cinéastes nous offre un film fort et un livre utile. Comment ne pas en être ému, comment ne pas lui dire merci?
* Assayas par Assayas, Ed. Stock, 2014.
C'est un film sur le temps qui passe. Drame banal et universel; le coeur même de la condition humaine. Qui mieux pour incarner ce drame qu' une actrice dont le rapport à son image est exacerbé à l'extrême? Quelle meilleure actrice que Juliette Binoche qu'Olivier Assayas rencontra dans leur commune jeunesse : elle a vingt ans, lui trente, au moment où elle joue dans Rendez-vous, un film d'André Téchiné co-écrit avec Assayas.
Le film d'aujourd'hui, Sils Maria, raconte l'histoire de Maria, une comédienne célèbre à qui l'on propose de reprendre une pièce, jadis interprétée par la jeune fille qu'elle a été, en endossant cette fois le rôle de la femme mûre. Cruel retournement de situation dont elle tente de s'échapper par toutes sortes de stratagèmes et d'arguments pour finir par faire face à la douleur du temps qui passe.
Retrouvailles grandioses pour le cinéaste et l'actrice, dans les montagnes vertigineuses de Sils Maria au nom chargé d'histoire. Chez ce réalisateur français infiniment ouvert sur le monde, par ses origines comme par son regard, l'Espace et le Temps font la profondeur du champ. Nous ne sommes pas là, sortis de rien, ex-nihilo; nous sommes le fruit de notre petite histoire, comme de la grande Histoire. Ici, cet exceptionnel paysage suisse porte l'empreinte de Nietzche, de Rilke, mais aussi, moins connu, celle d'un géologue alpiniste, pionnier de la prise de vue en altitude qui fit un documentaire en 1923 sur le phénomène nuageux de Maloja, fuyant d'abord les nazis puis revenant en Allemagne en 1939 pour prendre sa carte et faire des films de propagande.
Mais le film ne se focalise pas seulement sur le passé. Sont présents l'hypercontemporain avec les mobiles et les tablettes, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux..; et même le futur avec la science-fiction. Tout cela suscite des questions, principalement autour du thème complexe de l'identité et de l'image de soi dans les yeux des autres. La mélancolie n'est pas absente mais pas au point d'anéantir l'espoir : on devine de l'autre côté de la vallée, derrière les brumes,la lumière qui vient de « l'innocence du devenir » (selon la belle expression de Nietzche).
Des questions et des perspectives. Oeuvre ouverte offerte aux spectateurs et non repliée sur les certitudes de son créateur. C'est la fonction même de l'art pour Assayas : soulever des interrogations. C'est ce qui signe l'intelligence et la modernité de son approche.
Et en cinéma, cela doit se faire de manière naturelle et vivante. On se souvient de cette scène où la comédienne ose contester les mots de l'auteur, lorsqu'elle juge la réplique « abstraite », « théorique », sonnant « faux ». Car si le texte est essentiel chez ce cinéaste intellectuel, l'incarnation l'est tout autant. Il faut que « le verbe se fasse chair » affirme-t-il et cela détermine sa façon de travailler avec les acteurs pour les amener à cette fluidité.
Il faut lire en contrepoint de ce beau film, le passionnant livre d'entretiens*
d'Olivier Assayas avec le critique de cinéma Jean-Michel Frodon. Précieux document où l'on comprend à quel point, chez cet artiste, la vie, l'écriture et le cinéma se fécondent, voire se superposent.
Il éclaire ainsi la singularité de sa démarche artistique : « Ce qui est en jeu, c'est la matière même de ta vie, de ton expérience du monde, en somme de ta perception, consciente ou inconsciente. Il ne s'agit pas d'autobiographie au sens direct du terme, et encore moins d' autofiction, mais de cinéma à la première personne; de la transposition dans le registre de la fiction de sensations vécues - plutôt que des faits précis- et parfois douloureuses. ».
Au sommet de son art, l'un de nos meilleurs cinéastes nous offre un film fort et un livre utile. Comment ne pas en être ému, comment ne pas lui dire merci?
* Assayas par Assayas, Ed. Stock, 2014.
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