Trente ans après, triste ironie du sort, l'histoire de la Marche pour l'égalité semble presque se rejouer sous nos yeux. Nous sommes certes loin des multiples meurtres racistes qui, à cette époque, ont (ou auraient dû) endeuillé notre République mais les mêmes feuilles fanées jonchent le sol national.
Au racisme ambiant qu'étaient partis dénoncer les marcheurs de 1983, fait ainsi écho ce climat délétère qui corrompt la France chaque jour un peu plus. Si certains semblent (re)découvrir ce fléau autour des insultes négrophobes qui ont visé la Garde des Sceaux, la plupart des Français ont suivi, souvent impuissants, l'aggravation des actes et discours racistes. Rejet, désinformation, islamobsession croissante, chasse aux Roms et aux sans-papiers, bannissement des quartiers populaires, autant de sujets de société qui trouvent leurs racines dans ces penchants racistes.
Résonnent également les doléances en termes d'égalité des droits et de reconnaissance citoyenne. Exagèrerais-je si je constatais qu'en la matière, peu de progrès ont été accomplis ? Je ne le pense pas. Les marcheurs regrettaient, par exemple, que la justice ne soit pas si aveugle que ça. Comme si lorsqu'un descendant de colonisés était jugé - notamment face à des institutions -, elle soulevait légèrement le bandeau censé recouvrir ses yeux pour prendre sa décision. En 2013, colin-maillard se joue encore très bien. Et, s'agissant de la citoyenneté, rappelons simplement qu'après les promesses de 1981, 1983, 2012 et 2013 nous attendons toujours le droit de vote des étrangers. Ah ! j'apprends que cette fois c'est prévu pour 2014, après les municipales. Bon.
Retentissent enfin les râles de ces citoyens sur lesquels on lâchait pêle-mêle chiens, balles, haine, de ces victimes de crimes policiers. La Marche de 1983 est d'ailleurs partie de là, de l'exaspération générée par ces violences policières. Soulèvement silencieux, elle est venue, à sa façon, donner du poids à ces révoltes urbaines qui depuis 1979 secouent la France à chaque fois qu'un acte policier est perçu comme outrageusement injuste. Les récentes révoltes, celles d'Amiens (2012) ou de Trappes (2013) indiquent clairement que, sur cette question, rien n'est résolu. Poke ce gouvernement, issu du grand parti antiraciste français, qui préfère palabrer à la Mutualité et marcher dans Paris, plutôt que de mutualiser ses forces pour légiférer en faveur de l'égalité. Ah, si seulement la récupération des luttes s'accompagnait de la récupération des propositions qui leur sont affiliées...
S'ils ont parfois pris d'autres formes, les abus policiers, très majoritairement impunis, continuent de renvoyer de manière extrêmement brutale une partie de la population à ses origines supposées. Contrôles au faciès, insultes, propos racistes, agressions physiques, aucun de ces agissements ne s'est évaporé dans le bureau de feu M. Mitterrand. Pis encore, une vingtaine de français meurent encore chaque année suite à une interpellation ou à une garde à vue.
Alors oui, certains changements sont certainement à noter, je ne le nierai pas. Ainsi, j'ose espérer que si je me prends une balle dans la tête aujourd'hui pour la simple et bonne raison que l'officier en face de moi a "la gâchette facile", ce sera l'homme et non son arme qui sera reconnu coupable d'homicide volontaire... mais, la vérité, c'est que je n'en suis pas sûre. Parce que si l'expression du racisme individuel a pris d'autres formes que le meurtre hebdomadaire, ce racisme systémique, structurel, institutionnalisé que nous dénonçons est toujours à l'œuvre. C'est notamment lui qui est à l'origine de l'absence de décisions concrètes en matière d'égalité des droits, de lutte contre les discriminations, de citoyenneté, de refonte des relations police/citoyens et de traitement des problématiques des quartiers populaires. Si très peu de choses ont évolué, ce n'est pas parce que les moyens manquent mais parce que trop nombreux sont ceux qui s'accommodent de cet état d'exception. Aucun gouvernement, aussi républicain soit-il, n'a eu le courage de regarder ces problèmes dans la rétine. Les politiques sociales, les rénovations urbaines, l'égalité couscous-barbecues en bas des tours, n'agissent qu'en surface. Et encore. A l'instar du droit des femmes qu'on a su faire évoluer, ces inégalités racistes structurelles appellent un traitement politique, et très certainement ministériel, spécifique.
Trente après, triste ironie du sort, nous sommes des millions de citoyens, des milliers d'organisations, de collectifs, d'associations, à avoir...les mêmes revendications que nos prédécesseurs : l'égalité et la justice. Nous en sommes les fiers et assurés héritiers ; la fierté émanant du courage de nos aînés (courage malheureusement absent de nos manuels scolaires (1)), la détermination de l'état des lieux que nous dressons des années plus tard. A l'habitante qui profitait de la venue de M. Valls pour l'interpeller sur des problèmes locaux, le Ministre répondit "vous m'avez l'air bien préparée..." (Citation audible à la fin de cette vidéo du Ministre de l’Intérieur interpellé le 22 juillet à 2013 à Trappes) Tu m'étonnes, 40 ans de foutage de gueule ça prépare bien. Et si elle vous a paru "préparée", vous risquez d'être encore plus frappé par ces générations qui arrivent et qui sont bien décidées à obtenir égalité et justice, ici et maintenant ! Ce ne sont nullement des menaces. Ce sont des promesses. Des promesses républicaines.
________
(1) Lors d’un micro-trottoir organisé par l’association AGPR à Cergy, toutes les personnes interrogées ont répondu qu’elles ne connaissaient ni la Marche pour l’égalité ni ses acteurs principaux. A titre de comparaison, Martin Luther King est l’un des personnages historiques préférés des américains.
Au racisme ambiant qu'étaient partis dénoncer les marcheurs de 1983, fait ainsi écho ce climat délétère qui corrompt la France chaque jour un peu plus. Si certains semblent (re)découvrir ce fléau autour des insultes négrophobes qui ont visé la Garde des Sceaux, la plupart des Français ont suivi, souvent impuissants, l'aggravation des actes et discours racistes. Rejet, désinformation, islamobsession croissante, chasse aux Roms et aux sans-papiers, bannissement des quartiers populaires, autant de sujets de société qui trouvent leurs racines dans ces penchants racistes.
Résonnent également les doléances en termes d'égalité des droits et de reconnaissance citoyenne. Exagèrerais-je si je constatais qu'en la matière, peu de progrès ont été accomplis ? Je ne le pense pas. Les marcheurs regrettaient, par exemple, que la justice ne soit pas si aveugle que ça. Comme si lorsqu'un descendant de colonisés était jugé - notamment face à des institutions -, elle soulevait légèrement le bandeau censé recouvrir ses yeux pour prendre sa décision. En 2013, colin-maillard se joue encore très bien. Et, s'agissant de la citoyenneté, rappelons simplement qu'après les promesses de 1981, 1983, 2012 et 2013 nous attendons toujours le droit de vote des étrangers. Ah ! j'apprends que cette fois c'est prévu pour 2014, après les municipales. Bon.
Retentissent enfin les râles de ces citoyens sur lesquels on lâchait pêle-mêle chiens, balles, haine, de ces victimes de crimes policiers. La Marche de 1983 est d'ailleurs partie de là, de l'exaspération générée par ces violences policières. Soulèvement silencieux, elle est venue, à sa façon, donner du poids à ces révoltes urbaines qui depuis 1979 secouent la France à chaque fois qu'un acte policier est perçu comme outrageusement injuste. Les récentes révoltes, celles d'Amiens (2012) ou de Trappes (2013) indiquent clairement que, sur cette question, rien n'est résolu. Poke ce gouvernement, issu du grand parti antiraciste français, qui préfère palabrer à la Mutualité et marcher dans Paris, plutôt que de mutualiser ses forces pour légiférer en faveur de l'égalité. Ah, si seulement la récupération des luttes s'accompagnait de la récupération des propositions qui leur sont affiliées...
S'ils ont parfois pris d'autres formes, les abus policiers, très majoritairement impunis, continuent de renvoyer de manière extrêmement brutale une partie de la population à ses origines supposées. Contrôles au faciès, insultes, propos racistes, agressions physiques, aucun de ces agissements ne s'est évaporé dans le bureau de feu M. Mitterrand. Pis encore, une vingtaine de français meurent encore chaque année suite à une interpellation ou à une garde à vue.
Alors oui, certains changements sont certainement à noter, je ne le nierai pas. Ainsi, j'ose espérer que si je me prends une balle dans la tête aujourd'hui pour la simple et bonne raison que l'officier en face de moi a "la gâchette facile", ce sera l'homme et non son arme qui sera reconnu coupable d'homicide volontaire... mais, la vérité, c'est que je n'en suis pas sûre. Parce que si l'expression du racisme individuel a pris d'autres formes que le meurtre hebdomadaire, ce racisme systémique, structurel, institutionnalisé que nous dénonçons est toujours à l'œuvre. C'est notamment lui qui est à l'origine de l'absence de décisions concrètes en matière d'égalité des droits, de lutte contre les discriminations, de citoyenneté, de refonte des relations police/citoyens et de traitement des problématiques des quartiers populaires. Si très peu de choses ont évolué, ce n'est pas parce que les moyens manquent mais parce que trop nombreux sont ceux qui s'accommodent de cet état d'exception. Aucun gouvernement, aussi républicain soit-il, n'a eu le courage de regarder ces problèmes dans la rétine. Les politiques sociales, les rénovations urbaines, l'égalité couscous-barbecues en bas des tours, n'agissent qu'en surface. Et encore. A l'instar du droit des femmes qu'on a su faire évoluer, ces inégalités racistes structurelles appellent un traitement politique, et très certainement ministériel, spécifique.
Trente après, triste ironie du sort, nous sommes des millions de citoyens, des milliers d'organisations, de collectifs, d'associations, à avoir...les mêmes revendications que nos prédécesseurs : l'égalité et la justice. Nous en sommes les fiers et assurés héritiers ; la fierté émanant du courage de nos aînés (courage malheureusement absent de nos manuels scolaires (1)), la détermination de l'état des lieux que nous dressons des années plus tard. A l'habitante qui profitait de la venue de M. Valls pour l'interpeller sur des problèmes locaux, le Ministre répondit "vous m'avez l'air bien préparée..." (Citation audible à la fin de cette vidéo du Ministre de l’Intérieur interpellé le 22 juillet à 2013 à Trappes) Tu m'étonnes, 40 ans de foutage de gueule ça prépare bien. Et si elle vous a paru "préparée", vous risquez d'être encore plus frappé par ces générations qui arrivent et qui sont bien décidées à obtenir égalité et justice, ici et maintenant ! Ce ne sont nullement des menaces. Ce sont des promesses. Des promesses républicaines.
________
(1) Lors d’un micro-trottoir organisé par l’association AGPR à Cergy, toutes les personnes interrogées ont répondu qu’elles ne connaissaient ni la Marche pour l’égalité ni ses acteurs principaux. A titre de comparaison, Martin Luther King est l’un des personnages historiques préférés des américains.