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Affaire Atangana: quand Laurent Esso s'acharne sur un innocent

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Attendre sans dépérir

Commençant sa peine, Michel Atangana pense que tout cela va s'arrêter, que l'erreur va être admise et son innocence ainsi établie. Bref, il pense qu'il sera rapidement libéré. Et pourtant, enfermé dans un sous-sol du Secrétariat d'Etat à la Défense, il compte ces années qui passent, les unes après les autres. Sa santé chancelle, mais son corps ne lâche pas. Son moral s'entame, mais son esprit ne cède pas.

Doté d'une force de caractère exceptionnelle, Michel Atangana s'occupe de façon très active. Fin connaisseur des écrits religieux et des rites catholiques, il continue, en prison, de recevoir des enfants qui préparent leur communion. Il continue de s'enquérir que les enfants dont il suivait le cursus scolaire font leurs devoirs et gravissent les échelons qui les mèneront au baccalauréat. Il continue de mener des affaires immobilières au Cameroun, là où maints individus auraient placé leurs fonds en sécurité en Occident. Des dignitaires du régime lui demandent de rédiger les discours du chef de l'Etat relatifs à l'économie. Ce qu'il fait de bonne grâce. Paul Biya, comme Michel Atangana l'apprendra, s'étonnera d'ailleurs de la qualité des discours que lui présentent des collaborateurs dont il connaît la médiocrité.

Pendant ces années terribles, Michel Atangana subira à chaque instant des tortures psychologiques. Lorsque sa sœur et sa mère décèdent, on lui refuse d'assister à leur enterrement. Lorsqu'il prend connaissance de la presse, il constate que sa réputation est recouverte d'une boue épaisse et puante. Lorsqu'il cherche à s'endormir, il se remémore ces journées où les rumeurs les plus folles ont circulé. Le Secrétariat d'Etat à la Défense n'est-il pas l'endroit vers lequel convergent les accusations d'évasion qui créent la panique sur son lieu de détention. Yaoundé ne bruisse-t-elle pas de cette rumeur insensée : Michel Atangana a le pouvoir de traverser les murs et sort le soir dans les boîtes de nuit de la capitale.

Ces années sont des années où l'activisme que déploie Michel Atangana lui permet de tromper sa solitude et la trahison de l'immense majorité de ses anciennes connaissances, quasiment toutes aux abonnés absents bien que convaincues de son innocence. Dans un régime où maints petits potentats font régner la terreur, s'approcher d'un pestiféré est chose dangereuse. Bien peu ont le courage de prendre un tel risque. Tournant le dos à l'esprit de justice, ceux que Michel Atangana tenait parfois pour ses amis préfèrent profiter dans la honte de leur petit confort.

Bis repetita

Dans les années 2000, une deuxième procédure est lancée contre Michel Atangana et Titus Edzoa. Après une première condamnation fondée sur de fausses accusations, il faut maintenant étayer les faits reprochés pense-t-on chez ceux qui veulent montrer au chef de l'Etat qu'ils sont d'autant plus serviles à son endroit qu'ils sont impitoyables envers Edzoa et Atangana. Rien de plus simple, pense-t-on dans ces sphères du pouvoir. Après tout, à peu près toutes les personnes qui gèrent des fonds publics au Cameroun en détournent une partie, se disent-ils en fins connaisseurs de telles pratiques. Or, à la tête du COPISUR, Michel Atangana a géré des sommes importantes constatent nos apprentis Rouletabille. Donc, concluent nos Sherlock Holmes du dimanche, Atangana a nécessairement détourné une partie des fonds qu'il avait à gérer.

Mais problème : les multiples commissions rogatoires internationales lancées par la justice camerounaise montrent qu'Atangana n'a pas volé un seul Franc CFA. Aucun mouvement suspect entre les comptes du COPISUR et les comptes d'Atangana. Aucune origine douteuse pour les fonds ayant servi à financer ses activités immobilières (remarquons à cet égard que les biens immobiliers d'Atangana lui appartiennent toujours, alors qu'ils lui auraient évidemment été confisqués par l'Etat s'ils avaient été financés grâce à des fonds publics détournés).

Un juge d'instruction prononcera d'ailleurs en 2008 un non-lieu. Issa Tchiroma, ancien opposant désormais repenti et ayant troqué sa "grande gueule" contre la servilité du laquais, déploie alors ses talents de pitre sinistre : alors qu'il sert de porte-parole du Gouvernement et faisant fi de la séparation des pouvoirs caractéristique d'une démocratie pour laquelle il ne milite plus, il critique ouvertement et grossièrement la décision de ce juge d'instruction publiquement qualifiée d' "élucubrations". Le Parquet, crevant le plafond des 30 jours qui lui étaient impartis, fera appel 90 jours plus tard de cette décision de non-lieu. En 2009, un juge d'instruction plus accommodant, c'est-à-dire aux ordres du pouvoir, ordonnera cette fois le renvoi de Michel Atangana devant le TGI de Yaoundé, aux côtés d'Edzoa. Lorsque ces faits se déroulent, Laurent Esso est Secrétaire Général à la Présidence de la République, c'est-à-dire le centre névralgique d'un pouvoir qui surveille l'"affaire" Atangana-Edzoa comme le lait sur le feu.

Un second procès commence. Il s'étalera d'octobre 2009 à mars 2012, à coups d'audiences espacées de plusieurs semaines. Il faut dire que la tactique se dévoile d'emblée dans toute sa limpidité. Il faut que la date du jugement dans cette deuxième affaire coïncide avec la fin de la première peine de 15 ans. Il ne faut donc pas aller trop vite...

Les audiences apparaissent une nouvelle fois comme un concentré de violations et de scandales. Que l'on en juge ! Petit florilège :
  • Michel Atangana est jugé pour les mêmes faits qu'en 1997, ce que proscrit formellement le code pénal camerounais.

  • à l'ouverture du procès, il est constaté que les documents saisis en 1997 chez Atangana et au COPISUR ont mystérieusement "disparu". But de la manœuvre : empêcher Atangana de montrer la réalité de l'activité du COPISUR et donc associer tout mouvement de fonds à un mouvement suspect.

  • la base de l'accusation repose sur le rapport de monsieur Luc Paul Ndjock, prétendu expert. Un bien drôle d'expert puisqu'il n'a pu travailler sur aucun document significatif (les scellés ont disparu !), qu'il n'a que de piètres connaissances financières ou comptables et qu'il n'a jamais auditionné Michel Atangana pour rédiger son rapport (au mépris du principe fondamental du contradictoire). Confronté aux questions de la défense, le prétendu expert Ndjock est mis en difficulté et doit avouer piteusement qu'il a "fait ce qu'on (lui) demandait". La défense ne pourra pas achever son contre-interrogatoire. En effet, le procureur indiquera, après quelques audiences durant lesquelles cet expert fut mis en forte difficulté, que monsieur Ndjock était malade et donc momentanément indisponible. Quelques semaines après cette première annonce, le procureur annonça que monsieur Ndjock était ... mort ! En donc définitivement indisponible...

  • le procureur produit des faux pendant l'audience (faux rapport ministériel, faux relevé bancaire,...) sans manquer de se rendre coupable de subornation de témoin. En effet, avant le début des audiences, les témoins doivent passer dans son bureau. Pendant l'audience, quand les témoins oublient leur leçon trop rapidement apprise, le procureur les récuse, à moins qu'il ne se lève pour aller leur chuchoter quelques mots dans le creux de l'oreille.


Laurent Esso aux premières loges

Lorsque les débats sont clos le 21 mars 2012, aucun doute ne semble permis : ce procès s'oriente vers la relaxe de Michel Atangana. Il faut dire que les trois magistrats formant la collégialité chargée de juger Atangana sont intègres. Tragique imprévu pour celui qui, entre-temps, a retrouvé le poste de ministre de la Justice qu'il occupait déjà lors du premier procès en 1997 : Laurent Esso.

Car pour Laurent Esso, pour des raisons que nous développerons ultérieurement, il est hors de question qu'Atangana soit relaxé. C'est ainsi que ce sinistre personnage va alors déployer ses talents maléfiques et sordides, s'enfonçant un peu plus chaque jour dans les basses fosses de la manipulation et de la duplicité.

Le 14 juillet 2012 a lieu la réception donnée par l'Ambassadeur de France au Cameroun à l'occasion de la fête nationale française. Bruno Gain s'enquiert alors de la situation de Michel Atangana, dont la lecture du jugement doit intervenir le 18 juillet suivant. Laurent Esso rassure l'Ambassadeur qu'il sait très investi sur ce dossier en lui expliquant que tout se passera bien.

Le même Laurent Esso, qui préfère de la France ses petits fours et son champagne bien plus que sa Déclaration des droits de l'Homme, est pourtant le maître d'œuvre d'une loi qui, votée le 16 juillet, permet à des juges qui n'ont pas assisté aux audiences d'un procès de participer à la rédaction et à la lecture du jugement des prévenus. Le 17 juillet, alors que les juges ont déjà rédigé leur décision - une décision de relaxe -, Laurent Esso décompose la collégialité chargée le lendemain de notifier le jugement aux prévenus. Il faut dire que, quelques temps auparavant, la présidente de la collégialité a refusé, et fort heureusement, d'accéder à une demande de Laurent Esso. Demande singulière puisque, en flagrante violation de la procédure pénale, Laurent Esso avait sollicité par la grossière entremise de ses sbires du Parquet que le jugement lui soit communiqué avant qu'il ne soit lu. Comprenant que le refus de cette magistrate d'obtempérer signifiait la relaxe pour Atangana et refusant que cela puisse advenir, Laurent Esso va alors chercher à mettre cette présidente de la collégialité en minorité. N'ayant pourtant pas réussi à faire flancher les deux autres juges de la collégialité, il s'ingénie à les écarter puis à les remplacer par des juges à sa solde. C'est donc le 17 juillet qu'il intime l'ordre à une première juge de gagner en urgence son poste au ministère des finances, en vertu d'une affectation qui avait pourtant et très logiquement été suspendue depuis le mois d'avril précédent, dans l'attente de la fin du procès. La collégialité décomposée, le jugement ne peut être lu le 18 juillet. Quelques manigances plus tard, Laurent Esso provoque le départ d'un deuxième juge. Les deux juges écartés sont remplacés par deux personnes que nous qualifierons avec pudeur d'"indélicates".

La présidente de la collégialité se retrouve ainsi en minorité. Deux juges aux ordres sont désormais contre elle. Le plus simple serait d'également la remplacer mais ce serait trop voyant. Or, c'est elle qui doit lire la décision. Mais comment lui faire accepter de lire la décision rédigée dans le bureau de Laurent Esso et non pas la décision que sa conscience professionnelle lui a commandé de rédiger ?

Consommant son crime plus avant - car c'est bien d'un crime qu'il s'agit -, Laurent Esso va donc une nouvelle fois mettre en mouvement toute la machine judiciaire au service de sa seule haine. Alors que la décision doit être lue le 4 octobre à 7h30, la présidente de la collégialité quitte Yaoundé quelques jours plus tôt, comprenant que l'ambiance de menaces qui l'entoure est à ce point lourde que sa présence dans la capitale pourrait mettre sa vie en danger.

Pensant pouvoir tout de même lire sa décision, cette courageuse magistrate se présente au TGI de Yaoundé le 4 octobre au petit matin. Elle est immédiatement convoquée dans le bureau du président de la Cour d'appel. Agissant évidemment sur ordre de Laurent Esso, ce haut magistrat lui intime l'ordre de lire une décision qu'il lui tend. Refus. Menaces. Refus. Menaces. Refus. Menaces. Etc... A 13h30, toujours séquestrée dans ce bureau de l'infamie, cette magistrate apprend qu'une personne veut lui parler au téléphone. Au bout du fil, c'est son mari. Ce dernier lui indique que si cette épouse et mère de famille veut préserver l'avenir de son mari et de ses enfants, il faut qu'elle lise la décision qu'on lui demande de lire. Flanchant devant des menaces que son mari ne fait que lui répercuter, la magistrate finit par accepter de lire la décision concoctée par Laurent Esso. Le 4 octobre 2012 en début d'après-midi, Michel Atangana est ainsi condamné à 20 ans de prison, peine assortie d'une peine complémentaire de 5 ans de contrainte par corps.

Source: comité de soutien camerounais, journalistes camerounais et Dominique Sopo après plusieurs voyages au Cameroun

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