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Il faut remettre les citoyens au cœur de la décision publique

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A l'heure d'Internet, des réseaux sociaux et des nouveaux médias qui bouleversent les pratiques d'information et d'expression, les citoyens souhaitent de plus en plus participer directement aux décisions publiques. Cette évolution profonde de la société, qui veut désormais prendre pleinement sa part à la vie de la démocratie, ressort très nettement de la dernière enquête réalisée sur ce sujet par TNS Sofres pour la Commission nationale du débat public: plus de 90% des citoyens souhaitent par exemple que l'on développe leurs moyens d'information et d'expression directe, au niveau local comme au niveau national. Une telle transformation semble aujourd'hui indispensable, pour répondre aux trois quarts des Français qui considèrent que les pouvoirs publics ne tiennent pas davantage compte de leur avis avant de prendre des décisions, qu'il y a une dizaine d'années.

Alors que les citoyens sont de plus en plus conscients des enjeux planétaires et de long terme que sont le changement climatique, la crise énergétique ou écologique, que constatons-nous aujourd'hui? Qu'il y a une véritable défiance à l'égard des institutions, de la parole publique, des industriels soumis au pouvoir des marchés, des scientifiques et des experts perçus comme soumis aux lobbies, et par voix de conséquence, une défiance à l'égard du débat public lui-même, parfois même un rejet du débat, de la part de certains.

L'une des pistes pour répondre à cette volonté de s'investir est de s'inspirer de toutes les initiatives développées à l'échelon local, échelon beaucoup plus propice à une participation active des habitants à la vie de la cité. D'ailleurs, si 54% des Français pensent que la démocratie fonctionne mal en France, 61% jugent que là où ils habitent, la démocratie locale fonctionne bien, un constat partagé aussi bien par les cadres que par les ouvriers. Mais il sera également indispensable d'inventer de nouvelles formes de participation, permettant aux trois acteurs essentiels que sont le citoyen, l'expert et le décideur politique de dialoguer, de collaborer et de construire ensemble.

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Le philosophe allemand Jürgen Habermas explique que "seule la délibération est susceptible d'entraîner un effet de légitimation". C'est sans aucun doute l'une des clés du succès: la légitimité d'une décision dépend finalement moins de son contenu intrinsèque que des conditions de son élaboration. La décision est légitime dès lors qu'elle résulte d'un cheminement au cours duquel le public et les parties prenantes ont été en mesure de participer au processus. C'est la transparence, la rigueur, l'impartialité, et la loyauté de la procédure et du débat qui fondent la légitimité de la décision. Mais pour que les citoyens retrouvent la confiance, il faut que le débat ait lieu suffisamment tôt, en amont des décisions, lorsque les choix essentiels ne sont pas arrêtés et que d'autres options sont encore possibles. Il faut aussi que les citoyens soient entendus. Bien entendu, ce qui est délibératif, c'est la procédure et non la décision, qui appartient au politique.

Ce processus est mis en œuvre dans de nombreux pays. Aux Etats-Unis, depuis plus de soixante ans, la procédure "notice and comment" permet la participation directe et ouverte du public pendant deux mois sur tous les projets de lois ou de réglementation. Dans notre pays, les processus de concertation ouverte en amont sont faibles; en revanche, on a multiplié depuis vingt ans les procédures, les consultations obligatoires d'organismes institutionnels, procédures souvent formelles et de faible portée. Pourtant, personne n'est dupe. Nombreux sont ceux qui considèrent qu'il faut arrêter de multiplier les instances pérennes créées à tous les niveaux, ce que l'on appelle souvent "le mille-feuille participatif", qui créent une surnotabilisation, de fortes résistances au changement et qui font écran à une participation citoyenne, dynamique et renouvelée. Le défi est aujourd'hui d'inventer un nouveau modèle qui allie participatif et efficacité.

L'enjeu est de taille. Une décision plus légitime sera mieux acceptée, elle permettra d'éviter les blocages et les conflits que l'on observe souvent, elle pourra être mise en œuvre plus rapidement. Il faudra accepter de prendre du temps, le temps de la concertation, du débat, le temps d'allers-retours dans la construction de la décision. Combien de projets ont été retardés de cinq ou dix ans, voire abandonnés, pour avoir voulu gagner trois mois au départ? Pour s'exprimer, les citoyens doivent aussi disposer d'éléments pluralistes, d'avis contradictoires et d'expertise indépendante. Il faudra également s'organiser de manière que les "perdants" de la décision reçoivent une compensation. C'est aussi une des missions du débat et un élément fondamental dans la légitimité des décisions.

La construction de ce nouveau mode d'exercice de la démocratie est le seul moyen de reconstruire la confiance, de développer la culture du débat public et de la décision partagée, de placer le citoyen au centre de l'efficacité publique. Le sociologue Michel Callon a très bien résumé l'enjeu de cette nouvelle forme de débat public, en expliquant que "ce qui s'y joue de plus profond, c'est la reconstruction du lien social, à partir de l'existence reconnue de minorités", un lien social si nécessaire aujourd'hui. Les débats que la Commission nationale du débat public a lancés sur le terrain ont montré que cela pouvait fonctionner, avec des citoyens qui ont pris leur mission à cœur au-delà de ce que nous aurions pu imaginer. Sur le projet CIGEO de centre de stockage profond de déchets radioactifs, en Meuse-Haute Marne, nous avons organisé une conférence de citoyens. Dix-sept participants, qui n'avaient aucune connaissance sur ce sujet de grande complexité, des citoyens formés de manière contradictoire pendant trois week-ends, ont été capables de rédiger, à l'unanimité, une contribution de grande qualité, pertinente, circonstanciée, digne d'intérêt pour le décideur. Cette expérience doit faire réfléchir experts et décideurs. Elle est très encourageante pour l'avenir.

Les enquêtes d'opinion que nous avons menées récemment sont sévères sur la situation actuelle. Elles comportent aussi beaucoup d'éléments positifs, encourageants pour l'avenir, à condition que tous les responsables politiques, les experts s'en saisissent. Des propositions innovantes et modernes ont été soumises au public: mieux former les futurs décideurs publics à l'écoute et au dialogue, reconnaître aux parlementaires et aux citoyens la possibilité d'exiger le lancement d'un débat public, développer les conférences de citoyens, mettre en ligne sur Internet tous les projets de lois pour recueillir l'avis des citoyens, confier l'organisation de l'ensemble des débats publics à une autorité indépendante. Ces idées correspondent très clairement aux attentes des Français, elles reçoivent un soutien massif puisque 88% à 96% des personnes interrogées les partagent, un chiffre très rarement atteint dans les enquêtes d'opinion.

Leur mise en oeuvre ne demande pas de nouveaux moyens financiers, mais elle exige toutefois volonté, courage et ténacité pour fonder une nouvelle gouvernance publique, non plus sur les enjeux de pouvoir et les rapports de force, mais sur une capacité d'écoute, sur une co-construction de l'intérêt général, bref fondée sur le respect de l'autre. Cette nouvelle gouvernance, les citoyens l'attendent, l'exigent. Puissent l'ensemble des responsables politiques, sociaux, économiques, associatifs s'engager dans cette voie nouvelle, seule à même de redonner confiance à nos concitoyens.

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