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Brétigny: bien sûr qu'on savait!

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La règle se vérifie, là encore: l'intérêt que l'on porte aux drames est proportionnel au nombre de morts ainsi qu'à la proximité géographique et chronologique. Ainsi, le premier anniversaire de l'accident de Brétigny-sur-Orge a suscité sans doute une émotion plus profonde que le crash des TGV-TER de Pau hier. Se faufilant dans l'actualité, entre les 100 premiers morts Gazaouis et la finale de la Coupe du monde, le rappel de cet anniversaire ravive une émotion qui n'est pas éteinte dans l'opinion, et sans doute de manière bien plus cruelle dans les foyers ravagés par le drame. Mais ce malheur ne doit pas provoquer seulement l'affliction, il devrait susciter la révolte.

Car aujourd'hui on sait. On sait que l'on savait déjà avant l'accident.

L'association que je préside regroupe les maires de la région parisienne, qui depuis des années tirent le signal d'alarme. Que fallait-il de plus? Quand ce sont les cheminots qui se font sonneurs d'alerte, les cadres font la moue, soupçonnant les intérêts corporatistes. Quand ce sont les usagers, les ingénieurs sortis des grandes écoles fustigent les "jamais contents" (combien de fois ai-je vu des graphiques de la RATP et de la SNCF démontrant que tout était sous contrôle dans les transports d'Île-de-France?). Quand ce sont des élus qui montent aux créneaux, les technocrates dénoncent le clientélisme. Faut-il être à ce point irresponsable, pour penser que tous les faits et gestes des élus locaux sont électoralistes? Quel déni de notre système démocratique que de mettre en doute sans cesse ceux qui représentent la population et les usagers.

Pour la petite histoire, et pour l'instruction civique de nos élites, sachez que Bernard Decaux, maire de Brétigny-sur-Orge, qui fut à la tête des opérations de sauvetage et au premier plan sur BFM, iTélé, TF1, France 2 et autres, n'a pas été réélu en 2014. Une élection n'a pas de recette miracle; fort heureusement, les élus ne vivent pas avec cela en tête 24 heures sur 24. Quand certains d'entre eux dénoncent l'état catastrophique du réseau ferré, ce n'est pas par calcul, mais c'est surtout qu'ils sentent venir la catastrophe. Le résultat de ces alertes pourtant répétées et jamais prises au sérieux, il était sous nos yeux, le 12 juillet 2013 à Brétigny-sur-Orge. Un an plus tard, les investigations et l'enquête sont venus confirmer ce que tous sur place savaient, avant même que le drame ne survienne.

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On savait déjà depuis le mois de mai 2013 que des aiguillages en amont de la gare (direction Paris) présentaient une anomalie de fonctionnement. Cela avait contraint la SNCF à réduire de moitié les trains de la ligne RER C pendant les heures de pointe matinales entre le mois de mai et la mi-juillet 2013. A minima, cela aurait dû donner l'alerte sur l'état dangereux de ces installations qui datent pour certaines de 1936. Dans les heures qui ont précédé l'accident, les équipes de maintenance de la SNCF sont intervenues sur un aiguillage "jumeau" de celui qui a cédé. Ironie du sort, c'était celui-ci par lequel passait quotidiennement le corail inter-cité de Limoges, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le train a été dévié en entrée de gare vers le quai 3 voie 1, soit vers l'éclisse défectueuse.

Cette situation était connue depuis longtemps

Et elle était même dénoncée par les usagers de la ligne du RER C et les élus locaux. Les travaux étaient éternellement promis par le STIF, RFF, l'Etat et la Région, sans jamais être réalisés. Les promesses du contrat de plan Etat-Région 2007/2013 ont été une tromperie. Seule une étude d'amélioration du nœud ferroviaire de Brétigny-sur-Orge a été faite, reportant à plus tard le financement des 200 millions d'euros de travaux. Les annonces du gouvernement pour le contrat suivant 2014-2020 avaient tout simplement ignoré cette urgente nécessité .

Comble du hasard, le plan d'Investissement d'Avenir, présenté 3 jours avant l'accident par le Premier Ministre, Monsieur Ayrault, prévoyait en Île-de-France uniquement, le financement des lignes du Grand Paris Express en petite couronne, sans rien consacrer aux lignes existantes en grande couronne. Les priorités du rapport "Mobilité 21" (SNIT) ne prenaient même pas en compte les investissements en banlieue sur les lignes existantes. Dans un tel contexte, où doit-on chercher les responsabilités? Dans les ateliers en sous effectif de la SNCF ou dans les plus hautes sphères de l'Etat?

Comment ne pas accuser les pouvoirs publics et les gouvernements qui se sont succédés depuis 10 ans, avec des carences manifestes et volontaires, entretenues en accumulant des études et des concertations dilatoires, sans jamais rien engager de concret pour la transformation nécessaire de ces lignes de chemin de fer? Mais le cynisme n'a pas de limite, et depuis un an, nos dirigeants et leurs technocrates ont été bien plus préoccupés par le calendrier de publication des conclusions des enquêtes et par la gestion des révélations des expertises et des investigations, que par l'urgence de remédier à la déconfiture du réseau.

Finalement, les aiguillages et les rails auront été remplacés!

Se souvenir des heures tragiques et des victimes du drame n'est pas une formalité qui consiste à décorer les sapeurs pompiers mobilisés sur la catastrophe, et à verser une larme pour ceux qui ont souffert et qui sont morts. Le meilleur hommage que l'on puisse rendre aux 7 disparus, aux 30 blessés graves et à leurs sauveteurs, c'est d'agir au-delà des postures et des paroles. Se souvenir ce n'est pas se rappeler ce qui plait et oublier ce qui gêne. Notre mémoire ne doit pas retenir seulement la version acceptable des événements qui font l'histoire. Refusons de sacraliser l'horreur et d'oublier ce qui dérange, ce qui désigne, ce qui dénonce.

Pour Brétigny-sur-Orge, il ne faut pas oublier le ballet des limousines parisiennes se faufilant dans les bouchons des départs en vacances, oublier les bousculades pour passer à la télé. Il ne faut pas oublier les rumeurs de diversion soupçonnant un attentat ou un acte volontaire, oublier les contre-feux sur le vol des voyageurs, les interventions lacunaires des techniciens de maintenance de la SNCF. Il ne faut pas oublier que depuis plusieurs années, les usagers et les élus locaux avaient donné l'alerte sur la vétusté du réseau ferré à cet endroit très précis et qu'ils n'ont jamais été écoutés. Il ne faut pas, lorsque Brétigny-sur-Orge sera devenue une vieille histoire, que tout ceci tombe dans les abîmes de l'oubli avec Malpassé, le tunnel du Mont Blanc, Erika et tant d'autres.

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