EUROPE - Si la désignation du président de la Commission européenne se faisait sur CV, jamais ses concurrents n'auraient eu la moindre chance. Dernier responsable politique en activité à avoir participé à l'élaboration du traité de Maastricht en 1992, président de l'Eurogroupe de 2005 à 2013, Premier ministre du Luxembourg pendant près de 20 ans (1995-2014), Jean-Claude Juncker n'est pas un "bleu" de la bannière étoilée.
Si le personnage ne vous dit pas grand chose, dites-vous bien que Jean-Claude Juncker est un pan de l'histoire européenne à lui tout seul. Non dénué d'un certain humour, il considère que "l'euro et moi sommes les seuls survivants du traité de Maastricht". Il faut dire qu'il en a lui-même rédigé certains volets économiques. Une expérience inégalable? Il risque d'en avoir bien besoin pour sa nouvelle fonction à Bruxelles.
De Bérégovoy à Moscovici, il a vu défiler 16 ministres français des Finances, alors qu'il dirigeait l'Eurogroupe. Cette fois-ci, c'est la Commission qu'il présidera jusqu'en 2019. Autant dire que les longues soirées de négociations entre Paris et Berlin, ça le connaît: ses premiers interlocuteurs n'étaient autre que François Mitterrand et Helmut Kohl. Découvrez, à travers ses prises de décisions et quelques anecdotes, l'Europe que le Luxembourgeois de 59 ans va nous concocter.
À la fin de son mandat à la tête de L'Eurogroupe, Pierre Moscovici a rendu hommage à "un modèle de présidence équilibrée", entre Nord et Sud. Toujours à mi-chemin entre cette exigence de rigueur et besoin de croissance, son leitmotiv est "d'écouter, écouter, écouter", explique-t-il à Libération. "N’écoutez-pas et, un jour, ça explosera", met-il en garde. "Il faisait parfois durer nos réunions jusqu’à deux heures du matin alors qu’on aurait pu conclure plus vite", se rappelle l’ex-ministre des Finances François Baroin, au coeur de réunions au sommet lors de la crise de la zone euro.
Venant lui-même d'un petit pays, le Luxembourg, il a souvent laissé le temps à tout le monde d'exposer sa vision. "Je n’ai jamais voulu frustrer les petits", confirme l'ancien patron des ministres des Finances européens. "Il faut donner à chacun le temps dont il a besoin pour expliquer son point de vue."
Plutôt bon vivant, les longues soirées européennes sont rythmées par les cigarettes qu'il est le seul à oser allumer en séance. Et pourquoi pas un petit verre pour décompresser entre les séances? Il aime le gin tonic en été et l'apérol en hiver. Et la bière, bien sûr. C'est d'ailleurs comme ça qu'il confie avoir trouvé des convergences avec l'ancien président Jacques Chirac.
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À la baguette avec l'Eurogroupe, c'est lui qui bataillé pour que la dette grecque soit ramenée à 124% du PIB d'ici à 2020, contre un objectif initial de 120% défendu par le FMI. Sans ce bol d'air frais, Athènes n'aurait certainement pas pu continuer son redressement. Cet accord est un tournant dans la crise.
Très attentif aux drames vécus par la population, il a régulièrement jugé trop dure la cure d'austérité infligée au pays. "On est en train d’ajouter le désespoir au malheur et le malheur au désespoir", s'est-il désespéré au pire du marasme. Plusieurs fois par mois, il aurait demandé à des contacts locaux de "se faire décrire les rues". Mais le tableau n'est pas aussi idyllique qu'il le prétend. Si soucieux de social, ça ne l'a pas empêché d'avaliser sans états d’âme apparents tous les plans d’austérité.
Résultat, Jean-Claude Juncker ne bombe pas le torse. "Il n’y a pas eu de moment de félicité", concède-t-il. Il a néanmoins éprouvé de "la consolation à voir, petit à petit, se raffermir la volonté" de sauver l’union monétaire. "En trente ans de vie politique", ce fédéraliste passionnel n’a "pas souvenir qu’autant de décisions majeures aient pu être prises en à peine vingt-quatre mois".
Ceux qui le côtoient mettent en avant l'émotion avec laquelle Jean-Claude Juncker parle de l'Europe. Le Luxembourgeois répète à l'envie l'avoir "dans le cœur, dans le ventre, dans les tripes". Partisan d'une Europe fédérale, il milite pour un transfert de la souveraineté nationale vers l'Europe, d'où la campagne de dénigration menée par Londres.
David Cameron le range parmi les "hommes du passé". En version tabloïd, cela donne "L'homme le plus dangereux d'Europe", dans The Sun. Le journal souligne les liens de sa famille avec le régime nazi, sans expliquer le destin de son père, enrôlé de force dans la Wehrmacht.
"Comment l'Allemagne peut-elle se payer le luxe de faire de la politique intérieure sur le dos de l'euro?" Peu de dirigeants européens peuvent se payer le luxe de remonter les bretelles de Berlin. Dans un entretien au Figaro et au Süddeutsche Zeitungen en juillet 2012, il prend en grippe l'Allemagne après que le pays eut douté des solutions explosives de la BCE.
Son président Mario Draghi s'était déclaré "prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l'euro". Traduction: racheter des dettes souveraines afin de mettre l'Europe à l'abri des marchés. Farouchement opposée à cette initiative, l'Allemagne avait alors vertement critiqué cette possibilité. Deux ans après, l'avenir constate que Mario Draghi et Jean-Claude Juncker avaient raison. Pas une seule fois la stabilité de l'euro n'a été mise à mal après cette déclaration.
Il se souvient très bien de cette interview. "Je disais que la République fédérale traitait la zone euro comme sa succursale". S'il n’a pu relire ni adoucir le texte, "c’était le fond de ma pensée".
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C'est peut-être la partie la moins défendable de son CV. À la tête du Luxembourg pendant 19 ans, les dispositions fiscales de son pays ont servi d'angle d'attaque à ses adversaires. "Juncker a été le chef d’un paradis fiscal dans l’UE, et je suis sûre qu’il a accumulé beaucoup d’expérience pour éviter l'impôt, mais pas pour créer une justice sociale", a longtemps martelé Ska Keller, tête de liste des écologistes européens.
Juncker lui a répondu du tac au tac: "Je n’ai jamais été le chef d’un paradis fiscal. J’ai été celui qui a harmonisé en 1991 la TVA en Europe, ainsi que la taxation des droits d’accises. J’ai été celui qui a proposé en 1997 un code de conduite pour la concurrence fiscale déloyale. Je suis en faveur d’une concurrence fiscale et pas d’un dumping fiscal. Cela n’est pas une recette pour l’Europe. Il faut un cadre de législations fiscales".
L'argumentaire du Luxembourgeois est toutefois fragile. Le Forum mondial sur la fiscalité, qui regroupe 121 pays, a jugé fin 2013 que le Grand-Duché était "non conforme" au regard des normes internationales en matière de transparence et d'échange d'informations fiscales. Jean-Claude Juncker pourra néanmoins s'appuyer sur une disposition récente. Après la Suisse et l'Autriche, le Luxembourg a accepté début 2014 de lever le secret bancaire. Il devra à l'avenir étendre l'échange automatique d'informations fiscales aux trusts ou fondations (très prisés au Luxembourg).
Vifs échanges entre Jean-Claude Juncker et David Pujadas:
Si le personnage ne vous dit pas grand chose, dites-vous bien que Jean-Claude Juncker est un pan de l'histoire européenne à lui tout seul. Non dénué d'un certain humour, il considère que "l'euro et moi sommes les seuls survivants du traité de Maastricht". Il faut dire qu'il en a lui-même rédigé certains volets économiques. Une expérience inégalable? Il risque d'en avoir bien besoin pour sa nouvelle fonction à Bruxelles.
De Bérégovoy à Moscovici, il a vu défiler 16 ministres français des Finances, alors qu'il dirigeait l'Eurogroupe. Cette fois-ci, c'est la Commission qu'il présidera jusqu'en 2019. Autant dire que les longues soirées de négociations entre Paris et Berlin, ça le connaît: ses premiers interlocuteurs n'étaient autre que François Mitterrand et Helmut Kohl. Découvrez, à travers ses prises de décisions et quelques anecdotes, l'Europe que le Luxembourgeois de 59 ans va nous concocter.
1. Euro, négociation et gin tonic
À la fin de son mandat à la tête de L'Eurogroupe, Pierre Moscovici a rendu hommage à "un modèle de présidence équilibrée", entre Nord et Sud. Toujours à mi-chemin entre cette exigence de rigueur et besoin de croissance, son leitmotiv est "d'écouter, écouter, écouter", explique-t-il à Libération. "N’écoutez-pas et, un jour, ça explosera", met-il en garde. "Il faisait parfois durer nos réunions jusqu’à deux heures du matin alors qu’on aurait pu conclure plus vite", se rappelle l’ex-ministre des Finances François Baroin, au coeur de réunions au sommet lors de la crise de la zone euro.
Venant lui-même d'un petit pays, le Luxembourg, il a souvent laissé le temps à tout le monde d'exposer sa vision. "Je n’ai jamais voulu frustrer les petits", confirme l'ancien patron des ministres des Finances européens. "Il faut donner à chacun le temps dont il a besoin pour expliquer son point de vue."
Plutôt bon vivant, les longues soirées européennes sont rythmées par les cigarettes qu'il est le seul à oser allumer en séance. Et pourquoi pas un petit verre pour décompresser entre les séances? Il aime le gin tonic en été et l'apérol en hiver. Et la bière, bien sûr. C'est d'ailleurs comme ça qu'il confie avoir trouvé des convergences avec l'ancien président Jacques Chirac.

2. Pas un amoureux de l'austérité, mais il a sa part de responsabilité
À la baguette avec l'Eurogroupe, c'est lui qui bataillé pour que la dette grecque soit ramenée à 124% du PIB d'ici à 2020, contre un objectif initial de 120% défendu par le FMI. Sans ce bol d'air frais, Athènes n'aurait certainement pas pu continuer son redressement. Cet accord est un tournant dans la crise.
Très attentif aux drames vécus par la population, il a régulièrement jugé trop dure la cure d'austérité infligée au pays. "On est en train d’ajouter le désespoir au malheur et le malheur au désespoir", s'est-il désespéré au pire du marasme. Plusieurs fois par mois, il aurait demandé à des contacts locaux de "se faire décrire les rues". Mais le tableau n'est pas aussi idyllique qu'il le prétend. Si soucieux de social, ça ne l'a pas empêché d'avaliser sans états d’âme apparents tous les plans d’austérité.
Résultat, Jean-Claude Juncker ne bombe pas le torse. "Il n’y a pas eu de moment de félicité", concède-t-il. Il a néanmoins éprouvé de "la consolation à voir, petit à petit, se raffermir la volonté" de sauver l’union monétaire. "En trente ans de vie politique", ce fédéraliste passionnel n’a "pas souvenir qu’autant de décisions majeures aient pu être prises en à peine vingt-quatre mois".
3. Il sera le meilleur ennemi du Royaume-Uni
Ceux qui le côtoient mettent en avant l'émotion avec laquelle Jean-Claude Juncker parle de l'Europe. Le Luxembourgeois répète à l'envie l'avoir "dans le cœur, dans le ventre, dans les tripes". Partisan d'une Europe fédérale, il milite pour un transfert de la souveraineté nationale vers l'Europe, d'où la campagne de dénigration menée par Londres.
David Cameron le range parmi les "hommes du passé". En version tabloïd, cela donne "L'homme le plus dangereux d'Europe", dans The Sun. Le journal souligne les liens de sa famille avec le régime nazi, sans expliquer le destin de son père, enrôlé de force dans la Wehrmacht.
The @Sun got so carried away by the Juncker story that they forgot a "the" in the headline... pic.twitter.com/DabvCwutku
— kosmopolit (@kosmopolit) 4 Juin 2014
4. Il n'a pas peur d'Angela Merkel
"Comment l'Allemagne peut-elle se payer le luxe de faire de la politique intérieure sur le dos de l'euro?" Peu de dirigeants européens peuvent se payer le luxe de remonter les bretelles de Berlin. Dans un entretien au Figaro et au Süddeutsche Zeitungen en juillet 2012, il prend en grippe l'Allemagne après que le pays eut douté des solutions explosives de la BCE.
Son président Mario Draghi s'était déclaré "prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l'euro". Traduction: racheter des dettes souveraines afin de mettre l'Europe à l'abri des marchés. Farouchement opposée à cette initiative, l'Allemagne avait alors vertement critiqué cette possibilité. Deux ans après, l'avenir constate que Mario Draghi et Jean-Claude Juncker avaient raison. Pas une seule fois la stabilité de l'euro n'a été mise à mal après cette déclaration.
Il se souvient très bien de cette interview. "Je disais que la République fédérale traitait la zone euro comme sa succursale". S'il n’a pu relire ni adoucir le texte, "c’était le fond de ma pensée".

5. Chef d'Etat d'un paradis fiscal pendant 19 ans
C'est peut-être la partie la moins défendable de son CV. À la tête du Luxembourg pendant 19 ans, les dispositions fiscales de son pays ont servi d'angle d'attaque à ses adversaires. "Juncker a été le chef d’un paradis fiscal dans l’UE, et je suis sûre qu’il a accumulé beaucoup d’expérience pour éviter l'impôt, mais pas pour créer une justice sociale", a longtemps martelé Ska Keller, tête de liste des écologistes européens.
Juncker lui a répondu du tac au tac: "Je n’ai jamais été le chef d’un paradis fiscal. J’ai été celui qui a harmonisé en 1991 la TVA en Europe, ainsi que la taxation des droits d’accises. J’ai été celui qui a proposé en 1997 un code de conduite pour la concurrence fiscale déloyale. Je suis en faveur d’une concurrence fiscale et pas d’un dumping fiscal. Cela n’est pas une recette pour l’Europe. Il faut un cadre de législations fiscales".
L'argumentaire du Luxembourgeois est toutefois fragile. Le Forum mondial sur la fiscalité, qui regroupe 121 pays, a jugé fin 2013 que le Grand-Duché était "non conforme" au regard des normes internationales en matière de transparence et d'échange d'informations fiscales. Jean-Claude Juncker pourra néanmoins s'appuyer sur une disposition récente. Après la Suisse et l'Autriche, le Luxembourg a accepté début 2014 de lever le secret bancaire. Il devra à l'avenir étendre l'échange automatique d'informations fiscales aux trusts ou fondations (très prisés au Luxembourg).
Vifs échanges entre Jean-Claude Juncker et David Pujadas:
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