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L'Europe de l'énergie, victime de la crise ukrainienne... mais surtout d'elle-même!

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Depuis la grave crise de début 2009 qui avait engendré l'arrêt des exportations de gaz vers l'Europe, les tensions entre Kiev et Moscou paniquent Bruxelles. En 2014, faisant face à une situation encore plus préoccupante, la Commission Européenne a présenté huit axes pour renforcer la sécurité de ses approvisionnements énergétiques en réduisant sa dépendance extérieure. Dans ce contexte, le Conseil européen, qui se réunit aujourd'hui, est crucial mais les propositions formulées par Bruxelles semblent néanmoins bien lacunaires.

La Commission cohérente dans ses propositions...

La Commission propose l'approfondissement du marché intérieur de l'énergie afin d'améliorer la ventilation des dotations énergétiques entre zones excédentaires et déficitaires.

Elle envisage aussi des mécanismes d'urgence et de solidarité pouvant déboucher sur une refonte de la gestion des réserves stratégiques européennes.

Enfin la mise en place de stress tests énergétiques, inspirés des stress tests bancaires, seraient un outil efficace d'évaluation de la résistance des Etats membres aux coupures d'alimentation et permettrait de dégager des mécanismes collectifs de réponse.

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Toutefois, la réduction de la vulnérabilité européenne impose une réflexion sur deux enjeux complémentaires : le stratégique et l'industriel.

Mais occulte certains aspects tout aussi stratégiques

Techniquement, l'accès aux ressources fossiles et l'investissement dans les réseaux de distribution sont centraux. Politiquement, le changement climatique et les risques humains doivent être au cœur de la réflexion.

Or, force est de constater que nombre de leçons de la crise de 2009 ne sont toujours pas tirées. Le fonctionnement encore à sens unique pour certains des gazoducs ne permet pas de faire jouer la péréquation des ressources dans l'espace communautaire. L'efficience énergétique, levier sur le contrôle de la demande, est un chantier au rythme bien trop lent. De même, la restructuration industrielle des pays d'Europe centrale et orientale est toujours nécessaire. Leur modèle économique, liquidant difficilement l'héritage soviétique, reste très énergivore.
Enfin, certains risques humains semblent encore écartés, notamment les risques d'attentat ou de sabotage envers des installations énergétiques.

La substitution inter-énergétique entre la production d'énergie d'origine fossile ou nucléaire et celle issue du renouvelable est elle aussi largement absente des principaux points présentés par la Commission. Pourtant la part du renouvelable dans le mix énergétique européen a augmenté de 22%. De manière générale, la recherche technologique dans ce secteur doit impérativement être soutenue. Fort relais de croissance, celle-ci aura un impact multi-scalaire et trans-sectoriel sur l'ensemble de l'économie.

Au-delà des limites et disparités politiques connues, travailler à renforcer le groupe des correspondants nationaux de sécurité énergétique (le NESC), dont la voix reste trop peu audible, doit être une priorité stratégique.

La commission doit concentrer ses efforts sur des axes précis.

Winston Churchill rappelait déjà en 1913 que "la sécurité et la certitude pétrolière résultent de la diversification et de la diversification seule". En effet, la diversification des fournisseurs permet la substitution d'un par un autre en cas de crise.

Néanmoins, quand bien même l'UE tenterait de réduire l'intensité de sa consommation énergétique, cela ne suffirait pas à inverser la tendance de dépendance énergétique.

En 2013, 39 % du volume des importations de gaz de l'UE a été acheté à la Russie, 33 % à la Norvège et 22 % à l'Afrique du Nord (Algérie et Libye). La commission doit donc voir plus loin et appuyer la recherche de nouveaux partenaires comme l'Islande (autour de la géothermie et de l'hydrogène), le Groenland et ses 600.000 tonnes d'Uranium, ou encore l'Arctique canadien avec lequel elle négocie actuellement un accord de libre-échange.

Bruxelles dans le piège de ses propres institutions

La probabilité que le conseil adopte aujourd'hui la stratégie proposée par la commission reste faible pour plusieurs raisons : la commission a déjà tiré plusieurs conclusions sur les failles de la sécurité énergétique européenne après la crise de 2009 notamment la volonté de "parler d'une seule voix".
Au final, pour ces conclusions, certaines sont simplement reconduites, mais aucune n'a encore abouti à des réalisations concrètes : les Etats membres n'ont pas encore réussi à s'accorder sur les détails des mécanismes d'urgence.

Mais les processus complexes des institutions européennes ainsi que l'existence de plusieurs autres groupes de travail déjà existants compliquent - par leur nombre et leur diversité - les processus d'audit, de répartition des tâches et de prise de décisions...

Comment alors les différents groupes de travail Européens sur les énergies peuvent se coordonner dans leurs missions respectives sans empiéter sur les activités ou les prérogatives de chacun, qui plus est, sous la direction de l'AIE pour certains programmes ? Par exemple, le projet de mutualisation des risques énergétiques via la mise en commun d'une réserve des stocks au niveau européen est piloté par l'instance internationale. L'hétérogénéité des Etats membres et les différences géoéconomiques notables ralentissent donc la coordination politique, au profit de groupes internationaux tels que l'OPEP ou le G7.

La mise en œuvre des axes de développement est un processus très long et nécessitent de lourds investissements en amont tant pour la recherche technologique que pour les contraintes du développement propre. La coordination de tous les groupes européens sur ces questions doit passer par la mise en commun des processus de décision.

Pour ce faire, certains Etats devront faire des concessions, tant sur leurs stratégies et objectifs internes que leur gouvernance, pour pouvoir s'appliquer à "parler d'une seule voix". Au fond, rien n'a changé depuis 2005 : le manque de maturité quant à une fédéralisation politique de l'UE est criant et pénalisant.

Depuis 2009, le bilan est mitigé. Le taux de dépendance de 50% n'a pas évolué, ce qui illustre bien que certaines mesures n'ont pas été mises en œuvre en cinq ans. De manière globale, la maitrise de la demande énergétique s'accroît et devrait augmenter de 27 % d'ici à 2030. Dans ce contexte, il est utopique de penser que l'UE ait suffisamment de puissance pour s'exonérer de cette perspective. Dit autrement, les conséquences de la crise ukrainienne de 2014 sur la sécurité énergétique européenne ne sont donc que la cerise sur le gâteau avarié du déficit de coordination politique à Bruxelles.

La triangulaire diplomatique, de Victor Chauvet, éditions L'Harmattan. Date de publication: 21 mai 2014


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