ANIMAUX - Six mois ont suffi pour passer des paroles aux actes. C'était le 24 octobre 2013, dans une pétition largement médiatisée à l'initiative de la Fondation 30 millions d'amis, 24 intellectuels parmi lesquels l'éthologue Boris Cyrulnik ou le philosophe Michel Onfray, réclamaient une évolution du statut juridique de l'animal. Reconnus comme êtres sensibles par le Code rural et pénal, ce n'est alors pas le cas dans le Code civil où les animaux sont assimilés à des biens meubles, ou immeubles, au même titre qu'une chaise ou l'écran depuis lequel vous lisez ces lignes.
L'objectif pour les pétitionnaires: faire reconnaître la sensibilité des animaux dans ce pilier du droit français. Premier échec la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture lorsque François Hollande se prononça contre l'évolution du statut de l'animal dans le Code civil. Mais depuis le mardi 15 avril, c'est désormais chose faite lorsque, à la surprise générale, les députés adoptèrent un amendement conférant aux animaux le statut d'"êtres vivants doués de sensibilité".
Déposé par le député PS des Hautes-Pyrénées et ancien ministre de l'agriculture Jean Glavany, il opère une révolution dans les termes dont la portée est limitée puisque les animaux restent des "biens corporels", qui peuvent être l'objet de propriété. "Totalement symbolique", "ambiguïté délibérée", dès le lendemain juristes et avocats de la cause animale dénoncent un texte insuffisant... mais suffisamment important pour faire trembler les murs du premier bastion agricole, le puissant syndicat majoritaire FNSEA.
Inquiétudes
Dans une lettre ouverte à François Hollande son président Xavier Beulin a fait part de son "inquiétude" et sa "stupéfaction".
"Au-delà des apparences, écrit-il, il s'agit bien d'une évolution juridique qui risque de remettre en cause la pratique même de l'élevage, le savoir-faire des éleveurs en matière de bien-être animal et offrir par là-même une opportunité aux mouvements animalistes de multiplier les procédures judiciaires à leur encontre". Et le syndicaliste de faire "solennellement appel" au président de la République pour qu'il arbitre, si possible en faveur des agriculteurs. "Il en va de l'avenir des éleveurs comme de l'élevage qui est et doit rester une cause nationale pour notre pays," conclut-il.
Faire peur aux éleveurs? Interrogé par Le HuffPost, le député Jean Glavany s'en défend. "Il n’y a aucune raison – aucune !- que les éleveurs s’inquiètent. Ils ne sont en rien concernés par ce vote. Les conditions d’élevage des animaux en France ont beaucoup, beaucoup progressé, à tous points de vue, ces dernières décennies. Il reste sans doute de la route à faire mais, je le répète avec insistance, tel n’est pas l’objet de cet amendement," assure-t-il.
Il n'empêche, l'outrage est aussi politique: dans un communiqué publié sur son site internet, le député de la Manche Philippe Gosselin dénonce le "danger" d'un amendement "voté en catimini".
"De la sensibilité aux questions animales on passe à une vraie sensiblerie," s'insurge-t-il. "Demain, c'est l'agriculture qui sera menacée, la louveterie, la chasse à courre voire la chasse tout court! Et que dire des conséquences éventuelles pour les agriculteurs, les laboratoires, les abattoirs ... qui pourraient se trouver dans des conflits juridiques très difficiles?" Autant de craintes que l'idée d'encadrer juridiquement le sort des animaux de compagnie en cas de divorce proposée par Frédéric Lefebvre (UMP), ne devrait pas dissiper.
"Faille"
Pourquoi tant d'inquiétude? Parce que comme le résume la philosophe Florence Burgat dans les colonnes de Libération, avec ce texte "une faille est donc introduite (...) il permet de soulever plus fortement certaines questions concernant le régime des choses auquel les animaux sont soumis".
"Ça va dans le bon sens car la force symbolique du Code civil est bien plus grande que celle du Code rural," abonde Léopoldine Charbonneaux, présidente du CIWF, une ONG dédiée au bien-être des animaux. "Dans les faits, ça ne change rien," tempère quant à elle Brigittte Gothière, porte-parole de l'association L214 qui milite pour l'abolition de l'élevage, "mais ce texte rend notre combat plus légitime aujourd'hui qu'hier," assure-t-elle.
Les craintes de la FNSEA d'une remise en cause de l'élevage seraient-elles alors fondées? Oui et non. "Ce qui peut changer, c'est l'appréciation des juges lorsqu'ils devront trancher," poursuit Brigitte Gothière dont l'association est régulièrement en procès contre des éleveurs.
Du côté du CIWF, l'organisation n'engage pas de procédures contre les éleveurs, mais veille plutôt au respect des la législation en vigueur: "À ce niveau," juge Léopoldine Charbonneaux, "la reconnaissance du caractère d’êtres sensibles des animaux a été importante pour convaincre de s’attaquer aux problématiques touchant les animaux d’élevage, c’est ce que nous attendons d’un tel débat."
En clair, il s'agit d'une opportunité. Avec la reconnaissance du statut d'être sensible et les interrogations qu'elle suscite, la question de la place des animaux se hisse encore un peu plus en tant que véritable débat de société.
Faut-il vraiment légiférer ?
Mais selon quels termes? Et avec quelle finalité? Pour mettre fin aux dérives dénoncées par les avocats des animaux, s'agirait-il de renforcer les règles pour mieux encadrer les rapports entre hommes et animaux dans l'élevage, ou d'aller encore plus loin? Quelle que soit la réponse à ces interrogations, celle-ci passerait alors par la loi, ce qui n'est pas forcément une bonne idée.
"Le fait de légiférer pour modifier le statut de l'animal repose sur un présupposé, celui que l'ensemble des éleveurs s'appuieraient sur cette législation pour penser leur rapport aux animaux. C'est faux, il y a un véritable décalage entre le droit et la manière dont les éleveurs pensent leurs rapports aux animaux" analyse le sociologue Sébastien Mouret (LASCO, Université Paris-Descartes), auteur de Élever et tuer les animaux (Puf éd.).
Selon lui, comprendre la banalisation de la violence dans l'industrie animale nécessite de comprendre la souffrance éthique des éleveurs induite par l'organisation du travail telle qu'elle est prescrite dans l'industrie animale. "Cette souffrance, que des stratégies de défense psychique rendent 'silencieuse', a pour effet d’affaiblir leur sensibilité morale envers les animaux. Elle plonge ces travailleurs dans le silence éthique et l’impuissance politique, rendant la violence du travail en systèmes industriels ordinaire," poursuit-il.
Dès lors, ce serait davantage le contexte de l'élevage qu'il faudrait modifier que la loi: "derrière l'évolution de la législation pointe la volonté d'asseoir une sorte de régime moral politique fondé sur le droit dans le but de normaliser les comportements des individus - ici les éleveurs - et d’infléchir les pratiques d'élevage. Éleveurs, citoyens et consommateurs se retrouvent pour la plupart exclus du débat sur la 'question animale'", regrette le chercheur.
L'objectif pour les pétitionnaires: faire reconnaître la sensibilité des animaux dans ce pilier du droit français. Premier échec la veille de l'ouverture du Salon de l'agriculture lorsque François Hollande se prononça contre l'évolution du statut de l'animal dans le Code civil. Mais depuis le mardi 15 avril, c'est désormais chose faite lorsque, à la surprise générale, les députés adoptèrent un amendement conférant aux animaux le statut d'"êtres vivants doués de sensibilité".
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Déposé par le député PS des Hautes-Pyrénées et ancien ministre de l'agriculture Jean Glavany, il opère une révolution dans les termes dont la portée est limitée puisque les animaux restent des "biens corporels", qui peuvent être l'objet de propriété. "Totalement symbolique", "ambiguïté délibérée", dès le lendemain juristes et avocats de la cause animale dénoncent un texte insuffisant... mais suffisamment important pour faire trembler les murs du premier bastion agricole, le puissant syndicat majoritaire FNSEA.
Inquiétudes
Dans une lettre ouverte à François Hollande son président Xavier Beulin a fait part de son "inquiétude" et sa "stupéfaction".
"Au-delà des apparences, écrit-il, il s'agit bien d'une évolution juridique qui risque de remettre en cause la pratique même de l'élevage, le savoir-faire des éleveurs en matière de bien-être animal et offrir par là-même une opportunité aux mouvements animalistes de multiplier les procédures judiciaires à leur encontre". Et le syndicaliste de faire "solennellement appel" au président de la République pour qu'il arbitre, si possible en faveur des agriculteurs. "Il en va de l'avenir des éleveurs comme de l'élevage qui est et doit rester une cause nationale pour notre pays," conclut-il.
Faire peur aux éleveurs? Interrogé par Le HuffPost, le député Jean Glavany s'en défend. "Il n’y a aucune raison – aucune !- que les éleveurs s’inquiètent. Ils ne sont en rien concernés par ce vote. Les conditions d’élevage des animaux en France ont beaucoup, beaucoup progressé, à tous points de vue, ces dernières décennies. Il reste sans doute de la route à faire mais, je le répète avec insistance, tel n’est pas l’objet de cet amendement," assure-t-il.
Il n'empêche, l'outrage est aussi politique: dans un communiqué publié sur son site internet, le député de la Manche Philippe Gosselin dénonce le "danger" d'un amendement "voté en catimini".
"De la sensibilité aux questions animales on passe à une vraie sensiblerie," s'insurge-t-il. "Demain, c'est l'agriculture qui sera menacée, la louveterie, la chasse à courre voire la chasse tout court! Et que dire des conséquences éventuelles pour les agriculteurs, les laboratoires, les abattoirs ... qui pourraient se trouver dans des conflits juridiques très difficiles?" Autant de craintes que l'idée d'encadrer juridiquement le sort des animaux de compagnie en cas de divorce proposée par Frédéric Lefebvre (UMP), ne devrait pas dissiper.
"Faille"
Pourquoi tant d'inquiétude? Parce que comme le résume la philosophe Florence Burgat dans les colonnes de Libération, avec ce texte "une faille est donc introduite (...) il permet de soulever plus fortement certaines questions concernant le régime des choses auquel les animaux sont soumis".
"Ça va dans le bon sens car la force symbolique du Code civil est bien plus grande que celle du Code rural," abonde Léopoldine Charbonneaux, présidente du CIWF, une ONG dédiée au bien-être des animaux. "Dans les faits, ça ne change rien," tempère quant à elle Brigittte Gothière, porte-parole de l'association L214 qui milite pour l'abolition de l'élevage, "mais ce texte rend notre combat plus légitime aujourd'hui qu'hier," assure-t-elle.
Les craintes de la FNSEA d'une remise en cause de l'élevage seraient-elles alors fondées? Oui et non. "Ce qui peut changer, c'est l'appréciation des juges lorsqu'ils devront trancher," poursuit Brigitte Gothière dont l'association est régulièrement en procès contre des éleveurs.
Du côté du CIWF, l'organisation n'engage pas de procédures contre les éleveurs, mais veille plutôt au respect des la législation en vigueur: "À ce niveau," juge Léopoldine Charbonneaux, "la reconnaissance du caractère d’êtres sensibles des animaux a été importante pour convaincre de s’attaquer aux problématiques touchant les animaux d’élevage, c’est ce que nous attendons d’un tel débat."
En clair, il s'agit d'une opportunité. Avec la reconnaissance du statut d'être sensible et les interrogations qu'elle suscite, la question de la place des animaux se hisse encore un peu plus en tant que véritable débat de société.
Faut-il vraiment légiférer ?
Mais selon quels termes? Et avec quelle finalité? Pour mettre fin aux dérives dénoncées par les avocats des animaux, s'agirait-il de renforcer les règles pour mieux encadrer les rapports entre hommes et animaux dans l'élevage, ou d'aller encore plus loin? Quelle que soit la réponse à ces interrogations, celle-ci passerait alors par la loi, ce qui n'est pas forcément une bonne idée.
"Le fait de légiférer pour modifier le statut de l'animal repose sur un présupposé, celui que l'ensemble des éleveurs s'appuieraient sur cette législation pour penser leur rapport aux animaux. C'est faux, il y a un véritable décalage entre le droit et la manière dont les éleveurs pensent leurs rapports aux animaux" analyse le sociologue Sébastien Mouret (LASCO, Université Paris-Descartes), auteur de Élever et tuer les animaux (Puf éd.).
Selon lui, comprendre la banalisation de la violence dans l'industrie animale nécessite de comprendre la souffrance éthique des éleveurs induite par l'organisation du travail telle qu'elle est prescrite dans l'industrie animale. "Cette souffrance, que des stratégies de défense psychique rendent 'silencieuse', a pour effet d’affaiblir leur sensibilité morale envers les animaux. Elle plonge ces travailleurs dans le silence éthique et l’impuissance politique, rendant la violence du travail en systèmes industriels ordinaire," poursuit-il.
Dès lors, ce serait davantage le contexte de l'élevage qu'il faudrait modifier que la loi: "derrière l'évolution de la législation pointe la volonté d'asseoir une sorte de régime moral politique fondé sur le droit dans le but de normaliser les comportements des individus - ici les éleveurs - et d’infléchir les pratiques d'élevage. Éleveurs, citoyens et consommateurs se retrouvent pour la plupart exclus du débat sur la 'question animale'", regrette le chercheur.
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