Est-ce que toutes les civilisations se valent ?
Venant d'un philosophe qui ne sait lire le grec ancien, cette question tout à fait légitime et absolument pas symptomatique d'une "lepénisation de la pensée" (que l'on se calme s'il vous plait) est paradoxale pour ne pas dire cocasse : si on suit son raisonnement, Alain Finkielkraut ne devrait pas faire de la philosophie. Parce que ne pouvant lire dans le texte l'œuvre des pères fondateurs de son propre métier il serait tout aussi incapable de saisir celui d'un bon nombre de ses collègues du passé qui utilisent (dans le texte d'origine et sans traduction comme devrait le faire "tout philosophe qui se respecte" selon cette conception hiérarchisée des choses) des citations des Grecs sur lesquelles ils basent une grande partie de leurs développements. De Giambattista Vico à Martin Heidegger dont l'œuvre est truffée des citations grecques (comportant un nombre incalculable de fautes d'orthographe dans quelques-unes des éditions françaises les plus prestigieuses) c'est à se demander comment un non grécophone fait pour se débrouiller.
Il y a certes les traductions. Pour le profane pourquoi pas mais pour le "pro" ?
Parler d'"Œdipe Roi" quand il s'agit d'Œdipe Tyran (Οἰδίπoυς τύραννoς)? Ignorer (comme seule la traduction de Jean Lauxerois laisse apparaitre) que le garçon fut carrément dragué par sa propre maman ?
Et en musique, est-ce que la Quatrième Symphonie de Brahms et la Percussion Africaine se valent ? Soyons honnête, c'est la première qui m'intéresse, pas la seconde. Mais en longeant les Halles une belle journée d'été j'ai dû m'arrêter une bonne vingtaine de minutes devant un groupe de jeunes percussionnistes africains, médusé par leur jeu dont la complexité (!) rythmique m'a semblé tellement "supérieure", justement, à tout ce que je connais de la musique occidentale.
Pour ne pas parler de la plus grande civilisation occidentale du XXe siècle, celle qui voyait Brahms interprété par le Philarmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler côtoyer l'Introduction à la métaphysique de Heidegger. Le bain de sang dont cette immense civilisation fut capable.
Non, Finkielkraut n'a pas la moindre complicité avec Le Pen et l'extrême droite, prétendre le contraire est signe d'une généreuse débilité mentale (on la trouve au sein de toute sensibilité politique et intellectuelle).
Il est juste né "au mauvais moment". En plein changement de tout, lui qui serait tellement dans son élément dans une période "classique".
L'appauvrissement de la langue jusqu'aux élites ? Les désastres de l'orthographe ? C'est tout ce dont se plaignaient les savants grécophones de l'époque Hellénistique, voyant la langue de l'époque de Périclès "détériorée" à leurs yeux depuis le prolétariat immigré (et massivement chrétien à cette époque) jusqu'aux élites. Ils oubliaient une chose essentielle: à son époque Périclès n'apprenait pas une langue du passé à travers un nombre incalculable de règles à respecter mais créait la sienne, qu'il écrivait de manière phonétique. Apprendre "l'orthographe" était un non-sujet. On avait mieux à faire : philosophie, théâtre, sculpture, le tout dans le présent sans avoir à gérer de lourdes traditions du passé. Tandis que l'époque Hellénistique (très proche de la nôtre et dans laquelle Finkielkraut souffre) s'occupait non pas à créer du contemporain mais à gérer (tel un comptable dépassé par les comptes que ses aïeux lui ont légués) un passé glorieux et pesant.
Mais il a une caractéristique Alain Finkielkraut qui m'inspire une affection respectueuse :
Sa santé psychique.
Vivre un mal-être pouvant mener à un pétage de plombs dans une société où les "gens qui réussissent" gardent la psychose fonctionnelle quand tout autour brûle, est signe de santé, de grande, très grande santé psychique. Faisons confiance à la télé, prévisible dans sa caricature autophage (dont le conformisme institutionnel écrase celui de l'Académie Française) pour nous passer en boucle ces moments profondément humains et touchants, "pour rigoler".
Venant d'un philosophe qui ne sait lire le grec ancien, cette question tout à fait légitime et absolument pas symptomatique d'une "lepénisation de la pensée" (que l'on se calme s'il vous plait) est paradoxale pour ne pas dire cocasse : si on suit son raisonnement, Alain Finkielkraut ne devrait pas faire de la philosophie. Parce que ne pouvant lire dans le texte l'œuvre des pères fondateurs de son propre métier il serait tout aussi incapable de saisir celui d'un bon nombre de ses collègues du passé qui utilisent (dans le texte d'origine et sans traduction comme devrait le faire "tout philosophe qui se respecte" selon cette conception hiérarchisée des choses) des citations des Grecs sur lesquelles ils basent une grande partie de leurs développements. De Giambattista Vico à Martin Heidegger dont l'œuvre est truffée des citations grecques (comportant un nombre incalculable de fautes d'orthographe dans quelques-unes des éditions françaises les plus prestigieuses) c'est à se demander comment un non grécophone fait pour se débrouiller.
Il y a certes les traductions. Pour le profane pourquoi pas mais pour le "pro" ?
Parler d'"Œdipe Roi" quand il s'agit d'Œdipe Tyran (Οἰδίπoυς τύραννoς)? Ignorer (comme seule la traduction de Jean Lauxerois laisse apparaitre) que le garçon fut carrément dragué par sa propre maman ?
Et en musique, est-ce que la Quatrième Symphonie de Brahms et la Percussion Africaine se valent ? Soyons honnête, c'est la première qui m'intéresse, pas la seconde. Mais en longeant les Halles une belle journée d'été j'ai dû m'arrêter une bonne vingtaine de minutes devant un groupe de jeunes percussionnistes africains, médusé par leur jeu dont la complexité (!) rythmique m'a semblé tellement "supérieure", justement, à tout ce que je connais de la musique occidentale.
Lire aussi:
Pour ne pas parler de la plus grande civilisation occidentale du XXe siècle, celle qui voyait Brahms interprété par le Philarmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler côtoyer l'Introduction à la métaphysique de Heidegger. Le bain de sang dont cette immense civilisation fut capable.
Non, Finkielkraut n'a pas la moindre complicité avec Le Pen et l'extrême droite, prétendre le contraire est signe d'une généreuse débilité mentale (on la trouve au sein de toute sensibilité politique et intellectuelle).
Il est juste né "au mauvais moment". En plein changement de tout, lui qui serait tellement dans son élément dans une période "classique".
L'appauvrissement de la langue jusqu'aux élites ? Les désastres de l'orthographe ? C'est tout ce dont se plaignaient les savants grécophones de l'époque Hellénistique, voyant la langue de l'époque de Périclès "détériorée" à leurs yeux depuis le prolétariat immigré (et massivement chrétien à cette époque) jusqu'aux élites. Ils oubliaient une chose essentielle: à son époque Périclès n'apprenait pas une langue du passé à travers un nombre incalculable de règles à respecter mais créait la sienne, qu'il écrivait de manière phonétique. Apprendre "l'orthographe" était un non-sujet. On avait mieux à faire : philosophie, théâtre, sculpture, le tout dans le présent sans avoir à gérer de lourdes traditions du passé. Tandis que l'époque Hellénistique (très proche de la nôtre et dans laquelle Finkielkraut souffre) s'occupait non pas à créer du contemporain mais à gérer (tel un comptable dépassé par les comptes que ses aïeux lui ont légués) un passé glorieux et pesant.
Mais il a une caractéristique Alain Finkielkraut qui m'inspire une affection respectueuse :
Sa santé psychique.
Vivre un mal-être pouvant mener à un pétage de plombs dans une société où les "gens qui réussissent" gardent la psychose fonctionnelle quand tout autour brûle, est signe de santé, de grande, très grande santé psychique. Faisons confiance à la télé, prévisible dans sa caricature autophage (dont le conformisme institutionnel écrase celui de l'Académie Française) pour nous passer en boucle ces moments profondément humains et touchants, "pour rigoler".
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